Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visage est douce : cependant, dès qu’il s’anime, son regard devient impérieux. Il a la parole facile et éloquente. Tout en lui respire la franchise, la force et l’énergie ; mais ce n’est pas dans un salon, c’est sur un champ de bataille qu’il faut le voir, quand il s’élance à la tête des bataillons, quand sa voix mâle domine le bruit du canon et entraîne les soldats. À Vienne, comme dans le reste de l’empire, le ban avait été reçu avec enthousiasme ; la rue, devant le palais qu’il habitait, était continuellement pleine de personnes attendant son passage pour lui donner des marques de leur sympathie. Les hommes le saluaient de leurs vivat, les femmes agitaient leurs mouchoirs : grands et petits, tous semblaient vouloir lui témoigner leur reconnaissance, lui faire oublier qu’il fut un temps où lui, l’homme loyal et chevaleresque, avait été accusé de rébellion ; mais le ban fuyait ces ovations et ces applaudissemens, noble récompense que la foule a avilie en la prodiguant.

C’est le 9 décembre 1848 que nous entrâmes en campagne. Je quittai Vienne au matin avec le général Zeisberg, chef de l’état-major du ban, pour aller à Bruck, sur la Leitha, à la frontière de Hongrie. En quelques heures, nous fûmes dans cette petite ville, et nous montâmes aussitôt sur les hauteurs au pied du Geisberg. On voyait de là le village de Pahrendorf, occupé par les Hongrois, et sur la crête des collines, à l’horizon, les vedettes des avant-postes ennemis qui tranchaient comme des points noirs sur l’azur du ciel. Le lendemain, 10 décembre, le général Zeisberg alla reconnaître tout le cours de la Leitha sur la rive gauche. Les Hongrois avaient brûlé les ponts à Packfurth et à Rohrau ; le général ordonna de les rétablir, car le jour où l’on attaquerait les positions ennemies, il fallait pouvoir déboucher sur plusieurs points en même temps.

Pendant que nous étions arrêtés à Prellenkirchen chez le général Gramont, la nouvelle arriva des avant-postes qu’une troupe de cavalerie hongroise paraissait sur les hauteurs de la rive droite ; au bout de dix minutes, la brigade du général Gramont fut en marche, et nous voilà chevauchant par la plaine, espérant le combat. Le général Zeisberg courait de la tête à la queue de la colonne, il donnait les ordres, préparait l’attaque et pressait la marche de l’infanterie. À cette ardeur, à cette impétueuse activité, on reconnaissait bien l’homme de guerre. Certes ce premier combat eût été glorieux ; mais, lorsque nous arrivâmes sur les hauteurs, nous vîmes les Hongrois qui se retiraient, et déjà trop éloignés pour que nous pussions les atteindre avant la nuit. Ce premier mécompte était un fâcheux présage, et de pareils contretemps devaient se renouveler plus d’une fois pendant la guerre. Renonçant à poursuivre l’ennemi, le général Zeisberg partit alors pour Haimburg, sur le Danube, où nous arrivâmes à onze heures du soir.