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de Saxe, le grand-duché de Bade, les principautés formées sur le Rhin et en Westphalie, la Hesse, la Thuringe, la Saxe ducale, enfin l’Oldenbourg et l’autre partie du Hanovre, qui lui ouvriraient des débouchés maritimes. Au milieu de l’Europe, comme garantie du maintien de la paix, s’élèverait ainsi une grande fédération, qui aurait dans son principe même et dans sa constitution géographique toutes les conditions de force et de stabilité. La Prusse, amplement dédommagée par la réalisation de son unité particulière du mauvais succès de ses rêves d’unité conquérante en Allemagne, la Prusse n’aurait peut-être qu’une raison de s’opposer à de pareils arrangemens : ce serait de se garder le pied qu’elle a sur notre frontière. Cette raison n’est pas faite pour loucher beaucoup la France le jour où elle aurait sa voix à donner dans un congrès européen.

Il est juste après tout de reconnaître que la politique unitaire a singulièrement perdu, même en Prusse, du crédit que lui valait ce qu’elle eut un instant de flatteur pour l’orgueil prussien. À ce sujet, nous ne pouvons nous abstenir de mentionner ici un pamphlet anonyme qui a causé dernièrement un grand émoi dans Berlin, parce qu’il touchait juste sur les plaies vives du cabinet de Potsdam. Il a paru à l’heure où la guerre semblait presque inévitable, et il condamnait hardiment la guerre au milieu même de l’effervescence nationale, il la condamnait comme la dernière faute que pût faire la Prusse en punition du mauvais point de départ qu’elle avait pris pour toute sa conduite, et cette conduite signalée depuis bientôt trois ans par tant d’échecs était à chaque page impitoyablement censurée. Notre Politique, tel est le titre de cet écrit qui a déjà eu plusieurs éditions ; il a cela de significatif, que l’auteur n’appartient évidemment à aucune des oppositions systématiques que le gouvernement prussien a jusqu’ici trouvées sur son chemin. Ce n’est pas un réactionnaire du parti des piétistes et des hobereaux ; il ne parle ni de « la fidélité germanique, » ni de « l’antique foi, » les deux thèmes obligés de la Nouvelle Gazette de Prusse. Ce n’est pas davantage un homme de Gotha, puisqu’il dénonce amèrement le faux et pédantesque patriotisme de ces honnêtes gens mal inspirés, mais sans leur reprocher pourtant leurs opinions constitutionnelles. C’est encore bien moins un démagogue à la façon du Véritable Patriote prussien, qui, dans une Lettre à M. le ministre de Manteuffel, accuse celui-ci très sérieusement de représenter beaucoup moins bien la Prusse que ne le faisait le club des Tilleuls, lors du fameux printemps de la liberté, de ne point vouloir une Prusse révolutionnaire, de ne s’appuyer que « sur les sacs d’argent d’une bourgeoisie engraissée des sueurs du pauvre. » On voit que le radicalisme a partout la même langue ; ce n’est pas celle que parle l’auteur de Notre Politique.

L’énergique et spirituel pamphlétaire ne reproche qu’un point à la politique de Potsdam ; mais ce point comprend tout, c’est d’avoir été anti-prussienne en croyant travailler pour la plus grande gloire, de la Prusse. Le mal date, selon lui, de cette célèbre proclamation du 21 mars 1848, où il était dit : « La Prusse se fond dans l’Allemagne (geht in Deutschland auf) et se met à la tête du mouvement. — Comment, s’écrie-t-il, un état peut-il ainsi s’oublier, abdiquer lui-même et se persuader qu’il gardera quelque considération dans le monde ? » - La Prusse donnait donc sa démission en tant que Prusse, tout en croyant passer à un