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voir donné ce beau triomphe à la montagne pour de si minces griefs. Il y eut là du moins encore à propos un sage besoin de conciliation. La majorité, un instant surprise, ne craignit pas de déserter la voie où elle s’engageait, et une allusion blessante, par laquelle on avait l’air de la défier d’en sortir, lui donna le courage d’adopter, au lieu de cette malencontreuse censure, un ordre du jour motivé qui n’était, en d’autres termes, que l’ordre du jour pur et simple d’abord rejeté par ses suffrages.

La crise avait été dénouée presque en même temps qu’elle s’était produite ; mais ces fausses situations, si peu qu’elles durent, laissent des traces qui sont des froissemens. Le ministre de l’intérieur, justement habitué à plus d’égards au sein de l’assemblée, avait supporté à grand’peine le rude traitement qu’on avait failli lui infliger ; les susceptibilités parlementaires étaient, de leur côté, dans un certain éveil qui tournait au malaise. Il y a de ces impressions qu’on n’essaie pas même de justifier et qu’on subit ; ces impressions sont peut-être même plus vives sur les hommes réunis en masse que sur les individus isolés. On s’en veut d’une démarche intempestive, on en veut un peu à qui en a été l’objet ; on lui en veut même de l’effort ou du sacrifice qu’on s’est imposé pour la réparer. Il régnait sans doute quelque chose de ce vague mécontentement dans le gros de l’assemblée, et il ne manquait pas d’insinuations perfides pour l’entretenir, lorsqu’est arrivé le jugement du procès intenté à l’agent de police Allais.

Voilà certainement une pitoyable histoire, et si nous avons tant d’envie de nous tranquilliser sur les suites du conflit aujourd’hui pendant, c’est qu’il nous répugne d’admettre que de pareilles causes puissent aboutir à des effets si sérieux. Nous n’ignorons pas que ce temps-ci a le privilège désolant de grossir les infiniment petits ; mais ce serait vraiment à rougir d’avance du mépris de la postérité, si les basses intrigues ou les sottes divagations des plus obscurs subalternes suffisaient à déranger tout le train de notre pauvre machine politique. Nous nous étions jusqu’ici épargné la tâche ingrate de raconter à nos lecteurs cette ridicule épopée de l’espionnage qui vient de se terminer devant la justice. Il faut bien en parler aujourd’hui, puisqu’elle menace de devenir tout le fond d’un grand débat constitutionnel. Malheureuse constitution qui peut être atteinte par des ricochets partis de si bas ! On sait de reste à présent comment les agens préposés à la sûreté de l’assemblée nationale découvrirent, sans qu’il eût existé, un complot d’assassinat dirigé contre la personne de M. Dupin et contre celle du général Changarnier. Ni l’agent Allais, ni son chef, M. Yon, n’ont pu fournir les moindres indices à l’appui du rapport approuvé par l’un et composé par l’autre. Il a même fallu reconnaître que l’on avait mis dans ce rapport une bonne dose de fantasmagorie ; — le mot a l’air d’être technique dans la langue de l’emploi. La fantasmagorie n’en a pas moins fait scandale, à l’époque où elle arrivait, au milieu des agitations confuses qui couvaient avant le 11 novembre.

La justice a cru qu’il fallait avoir raison de ce scandale et lui ôter son danger par une procédure publique. Il est vrai que le danger avait disparu dans le changement à vue de la situation ; mais la situation va plus vite que la justice, et la justice, une fois saisie, a dû poursuivre. Allais a été accusé et jugé pour dénonciation calomnieuse. La défense consistait à soutenir qu’un rapport