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femme et ne l’empêchera jamais d’aller ni au théâtre ni au bal, encore moins aux fêtes de Piedigrotta et de la madone dell’ Arco. A présent, réfléchis, Antonietto. Pèse bien les paroles que tu viens d’entendre, et ne manque pas d’employer le reste de ce jour et la nuit entière à combinare.

Au lieu de combiner et de réfléchir sur les moyens de servir les amours de son jeune patron, Antonietto, dominé par ce profond sentiment du moi dont un bon Napolitain ne se distrait jamais, ne songea qu’aux avantages qui devaient résulter pour lui-même du mariage de Geronimo. Il se haussa de dix coudées dans sa propre estime, et regardant son ombre au soleil, en se disant que bientôt cette ombre serait celle du premier valet de chambre d’un homme riche. Sa première infraction aux ordres qu’il venait de recevoir fut de courir après d’autres gamins de son espèce pour leur raconter avec des amplifications merveilleuses les événemens graves qui allaient, disait-il, étonner toute la ville, et les pompes, cérémonies et largesses de ce mariage si brillant. Le soir venu, il ne prit pas cinq minutes sur le temps du sommeil pour se préparer à jouer son rôle, et il s’endormit bercé par des chimères dorées qui ne regardaient que lui.

Geronimo avait taillé sa plume et rédigé une lettre où l’hyperbole et la métaphore s’enflaient comme des ballons. Il la transcrivit au net sur du papier rose orné d’oiseaux lithographiés, et la plia en forme de poulet. En remettant au petit Mercure cette précieuse épître, l’abbé fit encore cent recommandations que le gamin parut écouter d’un air attentif et respectueux. Antonietto cacha le poulet dans la pochette de son caleçon, et lorsqu’il vit le patron tirer de sa bourse un demi-carlin, en lui disant de prendre une place dans un corricolo, pour aller vite, ses feux brillèrent comme des escarboucles. A peine dans la rue, le gamin tourna vingt fois entre ses doigts cette large pièce de cuivre et se promit solennellement de ne point la dépenser en frais de route inutiles. Pour l’acquit de sa conscience, il demanda au cocher d’un corricolo combien on lui prendrait pour aller à San-Giovanni-Toluccio. Le cocher lui proposa pour deux grani de se tenir debout sur la planche du véhicule ; mais Antonietto ne daigna pas répondre à des prétentions si exagérées. Il montra son demi-carlin d’un air majestueux, fit claquer sa langue contre son palais, et partit à pied. Un fiacre, derrière lequel il monta, le conduisit pour rien jusqu’au pont de la Madeline ; le reste du chemin, égayé par les chansons et les gambades, ne lui coûta qu’une heure, mais la grand’messe était commencée lorsqu’il arriva devant l’église du village.

Afin de délibérer sur cet incident, que ses instructions n’avaient pas prévu, Antonietto entra chez un macaronaro et demanda pour un sou de pâte. Devant le feu étaient des brins de macaroni longs de deux pieds et suspendus à un bâton. Le gamin prit trois de ces brins qu’il