Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Grande-Bretagne, c’est-à-dire en Irlande aussi bien qu’en Angleterre.

En Irlande, la lutte entre l’église et l’état se livre, comme en France, sur le terrain de l’enseignement. Ce sera toujours, en effet, le terrain véritable, je dirai le plus sincère, du conflit entre les deux pouvoirs. Pour exposer plus clairement l’état de la question, il faut rappeler des faits qui remontent au ministère de sir Robert Peel. Ce fut cet illustre administrateur qui tenta le premier, en 1845, d’établir en Irlande le système d’enseignement mixte, c’est-à-dire sans acception de religions particulières, et il souleva tout d’abord contre ses plans l’opposition du parti de l’église dans toutes ses nuances, car, sous le nom de parti religieux, nous comprenons aussi bien les protestans que les catholiques ; et de même qu’en France nous avons vu réunis sous le même drapeau, pour la défense de la liberté d’enseignement, M. l’évêque de Chartres et M. Agénor de Gasparin, l’Univers et le Semeur, ainsi, en Angleterre et en Irlande, on vit se liguer contre le système d’éducation purement séculière des prélats catholiques et des prélats protestans, Daniel O’Connell et sir Robert Inglis.

Il y avait cependant entre les deux pays cette différence que, tandis qu’en France la liberté d’enseignement n’était qu’un mensonge et était confisquée par le monopole de l’état et d’une corporation, elle faisait depuis long-temps, en Angleterre, partie des lois et des mœurs. Toutes les religions et toutes les sectes y avaient le droit d’ouvrir des écoles, et chacun y était le maître de son ame. La lutte entre l’état et l’église portait donc sur d’autres points ; l’état voulait fonder un enseignement laïque, séculier, qui ne fût ni catholique, ni protestant ; le parti de l’église ou des églises combattait ce système comme la négation de toute croyance positive.

Le plan de sir Robert Peel consistait à établir en Irlande trois académies ou collèges d’enseignement supérieur avec des chaires de droit, de médecine, de littérature, de philosophie, d’histoire, etc. La théologie était exceptée, et l’enseignement religieux était facultatif en dehors des collèges. Ces académies devaient être établies dans trois des principales villes : Cork, Galway et Belfast. Le jour même où ce projet fut présenté dans la chambre des communes par le ministre de l’intérieur, le représentant de l’université d’Oxford, sir Robert Inglis, se leva et dit : « C’est la première fois, dans l’histoire de la Grande-Bretagne, que l’état propose un établissement d’éducation sans instruction religieuse. Jamais, dans aucun pays, on n’a vu un plus gigantesque plan d’enseignement athée. » Cette expression était aussitôt ramassée, en Irlande, par O’Connell, qui, au nom du clergé catholique, dénonça l’athéisme du gouvernement. Ce fut à cette occasion que se déclara pour la première fois la scission entre la vieille Irlande et la jeune, Irlande.