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roi exilé, c’était une occasion sans exemple pour renouveler avec la nation l’antique contrat dont les générations nouvelles ne soupçonnaient pas même l’existence.

Un moyen digne et facile s’offrait à des princes doués de nobles qualités, mais dont le pays ignorait jusqu’aux noms, pour renouer ces liens sympathiques par lesquels les dynasties deviennent la vivante expression des nationalités. Il fallait accepter la mémorable déclaration du sénat dans le sens et dans l’esprit où elle avait été faite, et profiter de la stipulation consignée dans l’un de ses articles[1] pour faire consacrer par l’assentiment national un pouvoir qu’une acclamation unanime pouvait alors rajeunir pour des siècles ; il fallait enfin mettre autant d’empressement et d’habileté pour conquérir la ratification populaire qu’on en mit pour s’en passer. L’esprit politique exigeait que l’on retrempât la monarchie historique aux sources de la révolution contemporaine ; mais l’esprit de parti prévalut, et la royauté se posa sur elle-même comme Dieu dans son éternité.

Louis XVIII accueillit sans hésiter la plupart des stipulations contenues dans l’acte sénatorial, et, peu de jours après, ces stipulations se trouvaient consignées dans la déclaration de Saint-Ouen, puis inscrites dans cette charte constitutionnelle qui résumait des principes dont la conquête avait tant coûté. Ce prince, qui avait vu fonctionner le gouvernement représentatif en Angleterre, mettait sa gloire à l’importer dans son pays ; il estimait d’ailleurs, non sans raison, que le jeu d’institutions libres pourrait amortir l’esprit militaire, cette grande menace alors élevée contre le pouvoir royal, et qui, en dix mois, l’eut renversé par un complot de caserne.

Louis XVIII possédait une sagacité incontestable, et la parfaite indifférence de son ame lui laissait une liberté de conduite très précieuse pour le ménagement d’intérêts si divers ; mais ce prince avait conservé le culte du principe qui avait été la consolation de son malheur et l’ornement de son exil. On l’avait vu, à six cents lieues de sa patrie, opposer son titre à la puissance du premier consul, alors idolâtré de la France et bientôt après maître du monde. Il n’y avait donc pas à s’étonner si cette religion de sa vie avait trouvé une confirmation plus éclatante encore dans la tempête qui venait de rejeter le conquérant dans l’exil en reportant l’exilé sur le trône. Louis XVIII croyait en son droit comme Louis XIV, et ne soupçonnait pas jusqu’à quel point la

  1. « Article 29. — La présente constitution sera soumise à l’acceptation du peuple français dans la forme qui sera réglée. Louis-Stanislas-Xavier sera proclamé roi des Français aussitôt qu’il l’aura jurée et signée par un acte portant : « J’accepte la constitution ; je jure de l’observer et de la faire observer. » Ce serment sera réitéré dans la solennité où il recevra le serment de fidélité des Français. »