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effet consommé l’un de ces actes qui suffisent à changer le cours de toute une vie. Un crime non moins inexplicable par l’insignifiance de ses motifs que par l’immense portée de ses résultats avait consacré pour jamais dans cette ame, jusqu’alors pleinement maîtresse d’elle-même, la prépondérance de la passion sur la justice, de la colère sur la prudence. Le restaurateur du droit public européen avait consommé le rapt odieux d’Ettenheim, le restaurateur de la justice avait versé à Vincennes le sang innocent, et le glorieux restaurateur de la monarchie avait traité le fils des héros et des rois comme il n’aurait pas permis qu’on traitât le plus obscur malfaiteur. Ou la Providence reste étrangère à l’économie de l’existence humaine, ou un tel acte doit transformer une destinée. Dans cette circonstance du moins, la justice divine ne cacha point ses voies à la terre, car jamais conséquences ne furent plus importantes et plus immédiates que celles qu’amena l’attentat de Vincennes pour la suite de la carrière de Napoléon. Eût-il voulu continuer de pratiquer, après ce crime, la politique de la modération et du droit, que les invincibles méfiances qu’il venait de soulever le lui auraient rendu fort difficile.

De ce jour en effet, l’Angleterre trouva des approbations pour toutes ses colères, et Napoléon ne put espérer d’alliances qu’en les imposant par la force. La Prusse elle-même, toujours si ambitieuse et si cupide, rompit, encore qu’elle fût amorcée par l’appât du Hanovre, des négociations secrètes à la veille d’aboutir ; son cabinet, cédant à une indignation contagieuse, se jeta, pour n’en plus sortir, dans la neutralité malveillante qui, deux ans après, conduisait la Prusse aux champs d’Iéna, et Napoléon se trouva déshérité de ce qu’il lui importait le plus de conquérir, une grande alliance continentale, qui aurait été à la fois et une barrière précieuse contre le cabinet anglais et un rempart plus précieux encore contre lui-même. À Pétersbourg, où la personne du premier consul avait été, aux derniers temps de Paul Ier, l’objet d’une sorte de culte, l’émotion fut plus vive encore qu’à Berlin, parce que la déception fut plus profonde, et toutes les relations avec la France furent violemment suspendues. Le jeune empereur de Russie eut bientôt triomphé des hésitations de l’Autriche et déterminé une reprise d’hostilités à laquelle la cour de Vienne ne s’était refusée jusqu’alors que parce qu’elle se voyait seule contre la France. M. Pitt, qui, depuis la déloyale rupture de la paix d’Amiens, cherchait en vain sur tout le continent des alliés pour sa politique et des stipendiés pour ses subsides, vit tout à coup les cours allemandes incliner vers la Grande-Bretagne, et l’impression d’un grand crime effacer celle de ses propres torts. Au jour même où s’élevait le nouveau trône impérial dans un si imposant appareil, il suffisait donc d’une dose ordinaire de sagacité pour prédire que l’empire, en eût-il le désir, n’aurait pas la faculté