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à propos d’un hémistiche de Juvénal dans lequel il est dit que l’impératrice Messaline se prostituait sous le nom de Lycisca. De là à conclure à l’existence d’une véritable Lycisca, il n’y eut qu’un pas pour les deux auteurs, et, contrairement à la vérité historique, contrairement même à l’hémistiche de Juvénal, Messaline fut transportée sur la scène pour y être justifiée, réhabilitée et absoute. On s’est beaucoup récrié contre l’immoralité de cette pièce ; mais je crois que les auteurs, ne sont qu’à demi coupables, et que leur intention.était bien plutôt de mettre sur la scène certaines situations dramatiques que de réhabiliter Messaline. S’ils avaient trouvé dans l’histoire un autre personnage qui pût leur servir à exécuter leur dessein, ils l’auraient pris tout aussi bien que Messaline. Ils n’ont pas voulu laisser perdre les élémens dramatiques que contient l’histoire du collier, ni la ressemblance de Marie Antoinette avec Mlle Gay d’Oliva, et ils ont écrit bien innocemment, je le crois sans aucune mauvaise intention, ce drame qui a pour nom Valeria, et qui aurait dû n’en jamais porter aucun.

En prenant Mescaline pour héroïne, en faisant de cette trop célèbre impératrice une femme vertueuse, faussement accusée les auteurs n’ont pas seulement péché contre le bon sens, mais ils ont enlevé d’avance à leur drame tout intérêt. En effet, Mescaline est connue historiquement aussi bien que Néron ou que Tibère ; son infamie est notoire, elle a eu ce triste privilège de laisser un nom qui a cessé d’être un nom propre, pour devenir une sorte de substantif générique servant à désigner toute femme livrée à la débauche et en proie aux brutales fureurs des sens Messaline est donc connue même du public illettré, du public qui n’a jamais lu Tacite et Juvénal ; son nom s’est trouvé cent fois sur les lèvres d’hommes qui ignorent même quelle fut sa condition, ce nom leur a servi de terme de comparaison pour exprimer la nature morale ou les honteuses débauches de certaines personnes. Dès lors, qu’arrivera-t-il ? C’est que, entrant au théâtre avec cette idée qu’on va justifier devant nous une femme livrée par l’histoire au mépris de la postérité, nous n’éprouverons aucun plaisir naïf, nous ferons incessamment appel à nos souvenirs, nous, comparerons les récits de d’histoire avec la fable du poète ; en un mot, nous serons continuellement tourmentés, inquiétés par la connaissance trop certaine que nous avons de la culpabilité de Messaline. Pour pouvoir jouir des beautés qu’un pareil drame pourra nous offrir, nous serons forcés de faire, pour ainsi dire, violence à notre raison ; cette perpétuelle comparaison que nous ferons involontairement entre la fable du poète et l’histoire, cette violence que nous imposerons à notre intelligence, enlèveront tout intérêt au drame. Nous n’aurons plus, dès lors, qu’un plaidoyer dialogué, nous n’aurons plus, au lieu de l’effet moral du poème, qu’une sorte d’effet d’optique, de trompe-l’œil de théâtre. Les auteurs, d’ailleurs, ont senti si bien par avance toute la vérité de ces observations, qu’ils n’ont pas laissé à Messaline ce nom sous lequel elle est si connue et qu’ils l’ont mise sur la scène sous son prénom de Valeria.

Mais tâchons d’oublier que c’est Messaline qui passe sous nos yeux ; prenons l’idée qui fait le fond du drame, quelle est cette donnée ? C’est une fatale ressemblance, c’est ce qu’on appelle vulgairement un quiproquo. Cette ressemblance est-elle admissible dans les conditions de la pièce ? Nous répondrons non sans hésiter : les sosies et les Ménechmes ne seront jamais que des personnages