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hommage à ceux qu’elle honore, nous réclamons la liberté d’indiquer une identité qui nous blesse entre des partis au premier aspect si éloignés l’un de l’autre. Voici laquelle : — ces partis élèvent, chacun de son bord, une même prétention, ils se donnent tous deux pour des partis providentiels. Tous deux, ils se persuadent et cherchent à nous persuader, les socialistes qu’ils ont reçu la mission de nous conquérir, les légitimistes qu’il ont reçue celle de nous sauver. Ce n’est ni le lieu ni l’instant de discuter le grave problème du gouvernement de la Providence sur les nations ; en tout cas, nous demandons seulement la permission de ne pas croire qu’elle livre si facilement son secret, et nous commençons par nous mettre en garde contre ceux qui s’en déclarent ainsi de leur chef les agens prédestinés. Nous commençons par douter beaucoup qu’ils aient dans leurs mains l’éternel remède et l’éternelle vérité, parce que nous découvrons tout de suite dans leur langage le mensonge et la maladie du siècle On a dit avec une souveraine raison que toute chose qui doit devenir grande au milieu du monde débute petitement. Il n’est plus nulle part aujourd’hui de ces modestes origines qui n’avaient pas conscience de leur avenir ; on est maintenant tout plein à l’avance des merveilles qu’on enfantera ; on n’ignore pas qu’on porte en soi la recette suprême après laquelle attend le genre humain ; on vit de prime abord sur un si sublime espoir. Les partis providentiels sont atteints de cette stérile manie du grandiose ; ils ont toujours par devers eu la clé de la vaste fortune qu’ils se croient appelés à faire. La république de Rome et celle des États-Unis s’étaient en quelque sorte fondées sans y penser : la république socialiste est, dès à présent, aussi édifiée que possible sur ses gloires futures Quand Henri IV combattait comme un cadet de Gascogne, il n’avait que son héritage en tête ; il ne se berçait point des solennelles visées de la haute politique et de la haute morale sur lesquelles on échafaude aujourd’hui les prétentions de la monarchie pure. Socialistes et légitimistes se bâtissent ainsi des portiques au préalable, parce que le triomphe qu’ils se promettent ne peut, dans leur idée, se dérouler à moindres frais, et cependant ils ne songent pas qu’il serait plus sage de voir auparavant si derrière les arches triomphales il y aura bien à la fin quelque maison pour loger les triomphateurs. C’est là qu’est le néant de leurs rêves ; ils élèvent les portiques, ils n’ont pas la maison.

Le propre de ces rêves d’infatuation et d’orgueil est pour comble de s’imaginer que l’on dispose à son gré des volontés publiques, que l’on tire toujours la foule avec soi, que l’on est maître de stipuler pour elle. En face des larges horizons que l’on s’ouvre à plaisir dès le premier pas, en face du but magnifique vers lequel on s’achemine d’un si ferme propos, on ne soupçonne même point que les peuples puissent ne pas être aussitôt entraînés à la suite. On est si ravi de ses principes, que l’on n’a point à les soumettre au libre consentement de personne, puisqu’ils soumettent tout. Ce n’est pas le légitimisme, ce n’est pas le socialisme qui est fait pour la France ; c’est la France qui est faite pour eux. Aux partis providentiels plus qu’à tous autres s’applique cette histoire spirituellement placée dès la première page d’une vive brochure de M. Édouard Laboulaye sur la Révision de la Constitution « Je me souviens d’avoir lu le conte d’une fille qu’on allait marier. La mère l’avait promise, le père l’avait donnée, la famille fêtait une union désirée. Tout était réglé, arrête, conclu.