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à deux battans les portes du Queen’s Theater à des compositions de ce genre, nous le concevons facilement, s’il est vrai qu’elles y réussissent ; seulement il fera bien de se dispenser à l’avenir d’en vouloir gratifier le public des Italiens. Un opéra écrit sur un sujet de Shakspeare par deux Français ; puis traduit en italien et offert au divertissement d’une assemblée d’Anglais, devait paraître à Londres une nouveauté des plus intéressantes, mais, en revanche, il ne pouvait que perdre beaucoup à nous revenir. Pour nous, au contraire, qui possédons, à titre de gloires nationales, les deux auteurs de la Tempête et goûtons chaque jour leurs compositions ordinaires dans toute leur originalité immédiate, il n’y avait là qu’une sorte de travestissement assez peu sérieux. Imaginez des vers d’opéra-comique mis en musique d’opéra-comique et chantés sans grande conviction par les interprètes de Cimarosa, de Rossini et de Bellini, et vous aurez une idée presque exacte du ragoût. On conçoit que des excentricités dramatiques de cette espèce se produisent avec quelques chances de succès à Londres, sur le théâtre de la Reine, théâtre, comme on sait, sans répertoire déterminé, sorte de caravansérail ou tout passe et rien ne s’arrête, où Robert le Diable coudoie Semirarnide, où campent à la fois Mme Sontag et la Cerrito, Lablache et M. Saint-Léon, la cavatine et le pas de deux ; mais ici, au Théâtre-Italien, les mêmes conditions ne se présentent pas. À tort ou à raison, chez nous les classifications existent. Si nous avons une scène exclusivement consacrée aux compositions de l’école italienne, ce n’est point apparemment pour qu’elle s’alimenter des produits des compositeurs français, lesquels ont, ce semble, dans l’Opéra et l’Opéra-Comique un champ assez vaste d’exploitation. D’ailleurs, cette musique dont on aime à reconnaître, en temps et lieu, l’estimable et méthodique inspiration vous ravit moins lorsqu’elle vient ainsi en intruse prendre des soirées qui, n’en déplaise au respect qu’on lui porte, eussent été mieux occupées par les ouvrages du répertoire courant. Nous disons ceci pour M. Lumley, trop enclin, d’après ce qu’on peut voir, à se faire illusion sur les habitudes et les sympathies du public parisien qu’il persiste, à vouloir traiter en cockney britannique. Quel est, en effet, depuis son avènement à Ventadour, le principal ressort de son administration ? Un moyen tout anglais, une recette fort pratiquée sur les théâtres de Londres : l’exhibition. Des chanteurs qui vont et viennent, des engagemens fortuits improvisé pour les nécessités du lendemain, des représentations extraordinaires des pièces à spectacle, voilà, en somme de quoi s’est composé le programme de la saison que nous venons de parcourir : Pense-t-on aller loin avec un pareil système ? Nous le répétons, et M. Lumley fera bien d’y prendre garde, la réussite et la fortune du Théâtre-Italien à Paris sont uniquement dans l’excellence et l’homogénéité de la troupe, dans la réunion de cinq ou six chanteurs de premier ordre et formant groupe, exécutant, avec les richesses du répertoire ancien, les compositions nouvelles des maîtres en renom aujourd’hui. Sans doute, par le temps qui court, il en devra coûter quelque peine et quelques sacrifices pour recruter une compagnie de talens capable d’émouvoir notre dilettantisme un peu allangui, et le programme pourrait bien être d’une pratique moins aisée qu’il ne semble. Il n’en est pas moins vrai que pas une des administrations sous lesquelles le Théâtre-Italien a si glorieusement prospéré pendant ces quinze dernières années n’a suivi d’autre règle de conduite. Vous aurez beau, par toute sorte de combinaisons