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nous nous trompons fort, ou la classe des musiciens aura grandement goûté la leçon et se prépare à la renouveler en temps et lieu. L’idée de progressivité, de talent novateur, de romantisme instrumental écartée avec M. Berlioz, reste à se pourvoir simplement d’un collègue selon son goût. De générale qu’elle était, l’affaire devient domestique et n’intéresse plus que l’illustre compagnie et le Conservatoire. Or quel représentant plus digne et plus honorable du Conservatoire que M. Zimmerman ? Et si la haute pratique de la science, si toute une vie consacrée aux pénibles devoirs du professorat, peuvent constituer des titres suffisans pour prétendre à l’héritage académique, où trouver un concurrent plus méritant que l’harmoniste habile, écrivain correct et plein de goût, dont l’enseignement a jeté tant d’éclat sur notre école de piano ?

Au moins les choix que nous discutons auraient-ils une raison d’être, tout autre ne signifie absolument rien. D’ailleurs, comment se prononcer entre concurrens qui se valent tous plus ou moins ? De M. Clapisson ou de M. Ambroise Thomas, qui l’emportera ? De M. Panseron ou de M. Martin (d’Angers), lequel occupera plus solennellement le fauteuil de Spontini ? Et pourquoi, laissant là tout ce monde ex æquo, ne nommerait-on pas M. Grisar ? A l’idée d’un pareil choix, ne sourions pas trop ; il y a du Grétry, et du meilleur, dans la plume qui a écrit Gilles ravisseur, et qui, ces jours-ci, improvisait cette parade carnavalesque intitulée Monsieur Pantalon. Pour la veine comique, le franc rire, le vrai bouffe en un mot, je défie qu’on me cite à cette heure un musicien en France capable d’en remontrer à M. Grisar. Quelle différence entre le mouvement naturel de ce style, sa rondeur de bon aloi, sa verte gaillardise, et les mièvreries prétentieuses du Caïd ! A mon sens, Gilles ravisseur vaut son pesant d’or. Sans doute l’orchestre porte çà et là de regrettables marques de négligence, et l’on aimerait un système d’accompagnement d’une simplicité moins primitive ; mais, en revanche, comme la phrase est leste, facile, et d’un ton familier ! comme ce dialogue musical rappelle le bon temps ! Dans Monsieur Pantalon, il semble que vous sentiez moins ce vide de l’orchestre dont nous parlions tout à l’heure, non pas que nous prétendions dire qu’il y ait là rien de bien neuf et de bien compliqué : — la main qui a tissé cette trame instrumentale est à coup sûr une main fort discrète et qui sait se contenter de peu ; — remarquons aussi que le style bouffe dans lequel cette partition est écrite se passe à merveille des combinaisons symphoniques si en honneur chez la plupart des maîtres contemporains. Beaucoup de clarté, un dessin élégant et facile, de la distinction, de la justesse, de la netteté dans le débit, avec cela on se tire d’affaire, témoin le chef-d’œuvre du génie humain en pareil genre, le Mariage secret de Cimarosa.

Quand cessera la jeunesse pour cette musique ? Depuis tantôt vingt ans que Lablache nous revient chaque année, pas une saison des Italiens ne s’est écoulée sans que nous ayons vu reparaître don Geronimo entouré de cette excellente famille que tout le monde lui connaît. Polo, Caroline, la vieille tante Fidalma, le comte Robinson, intérieur charmant qui ferait envie à Molière ! Pour décor, quatre chaises et un paravent, le plus simple quatuor pour orchestre, Cimarosa n’en demande pas davantage. Jamais peut-être avec si peu d’appareil la musique ne produisit de plus ravissantes sensations, c’est l’or pur de la mélodie dégagé de toute espèce d’alliage. J’ai nommé Molière ; lui seul, en effet, peut donner