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les lois chinoises on punit de mort les parens de ceux qui se sont rendus coupables du crime de lèse-majesté. Le cadavre de l’officier resta exposé au milieu du marché pendant tout un jour ; personne n’osait témoigner, en le regardant, ni chagrin ni commisération : Cependant, parmi la- foule sur laquelle planait ce triste trophée de la colère du prince se trouvaient trois cliens du supplicié. Réunis là par hasard, le désir de contempler de plus près les restes de celui dont ils avaient reçu des bienfaits les porta à se rapprocher du fatal poteau. Ils se serrèrent silencieusement la main et s’éloignèrent de ce quartier populeux, où tant d’oreilles pouvaient les entendre. Arrivés hors de la ville, ils donnèrent un libre cours à leur douleur, et jurèrent devant le ciel et la terre de venger les mânes de leur patron. Dès ce moment, ils ne songèrent plus qu’à mettre à exécution leur hardi projet, l’occasion qu’ils attendaient avec anxiété ne tarda pas à s’offrir. Sun-tsé avait ordonné une partie de chasse ; il la faisait en grand, selon l’usage des princes de la Chine, et cet exercice, qu’il aimait passionnément, entretenait dans son ame belliqueuse des instincts de guerre et de conquête. Son armée l’accompagnait tout entière ; l’infanterie marchait en formant un cercle immense dans lequel les tigres et les panthères, traqués par les cavaliers, bondissaient éperdus au milieu des daims et des cerfs. Les lances des fantassins brillaient au soleil sur les flancs d’une haute montagne ; les mandarins à cheval, l’arc à la main,.le carquois sur l’épaule, fouillaient les buissons, au-dessus desquels on n’apercevait que la houppe de soie rouge fixée à leurs casques ; mais le plus actif de tous, c’était Sun-tsé. Monté sur un cheval fleur-de-pêcher, aux jambes fines et grêles, qu’il avait fait venir à grands frais de Tartarie, il galopait en avant de ses officiers, impatient de lancer la première flèche. Le cercle des fantassins commençait à se rétrécir, et le prince traversait un hallier ; quand un grand cerf, à la tête chargée de magnifiques ramures se leva devant lui. Un cri de joie échappa au jeune prince ; mais, comme il se détournait pour plonger la main dans son carquois par-dessus son épaule, il aperçut dans une touffe de bambous trois hommes qui le regardaient debout et immobiles.

— Qui êtes-vous ? demanda Sun-tsé, que faites-vous là ?

— Nous sommes des gardes de votre altesse, répondirent-ils ; nous guettons le cerf !

Sans s’arrêter plus long-temps à les interroger, le prince lâche la bride à son cheval et se penche en avant ; l’animal, au lieu de partir en droite ligne, se cabre, fait un bond de côté et laisse le temps à l’un des trois hommes d’enfoncer sa lance dans la cuisse de Sun-tsé. – A mois les gardes ! crie le prince. – Et, tirant son cimeterre d’une main ferme ; il cherche à parer les nouveaux coups que lui portent les trois assassins. La lame du sabre rencontre le bois de la lance et se brise ;