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vous conviendrez que, pour un chinois, son nom n’est pas trop baroque.

Sun-tsé avait de la bravoure, de l’audace ; l’histoire lui accorde quelques traits de ressemblance avec Charles-le-Téméraire, et ses états, comparés au reste du Céleste Empire, ne le cédaient point en importance aux belles provinces que gouvernaient les ducs de Bourgogne. Il reconnaissait encore la souveraineté de l’empereur et l’avait aidé à pacifier des contrées rebelles ; mais, pour prix de ses services, il réclamait le titre de général en chef de la cavalerie, ou, si vous voulez, un rang égal à celui de grand-connétable. La cour, par l’organe du puissant ministre qui l’opprimait elle-même, lui refusa cette satisfaction. « Puisque l’empereur ne veut pas m’assurer le titre que j’ambitionne comme prix de mes services, s’écria le prince de Ou avec colère, j’irai moi-même à la tête de mes troupes le lui arracher de vive force ! »

Il avait prononcé ces menaçantes paroles devant ses mandarins assemblés ; un officier qui demeurait fidèle au souverain ne put les entendre sans frémir. À peine sorti du palais, il se décide à avertir la cour des projets de son maître. Un billet écrit de sa main est confié par lui à un messager qui monte à cheval la nuit et fait route vers la capitale par des chemins détournés ; aux premières lueurs du jour, il arrive sur les bords d’un fleuve où le prince de Ou entretenait des postes militaires pour garder ses frontières. Aucune barque ne se montre sur les eaux ; partout où le courant moins rapide et les flots moins profonds semblent promettre au cavalier un passage facile, les soldats veillent appuyés sur leurs lances, le bouclier sur l’épaule. Les démarches de l’émissaire leur paraissent suspectes ; ils l’arrêtent, et la dépêche qu’il avait cachée dans le pli de sa ceinture tombe entre leurs mains. Le chef du poste ne reconnaissant point sur cette lettre le cachet du prince son maître ; se hâte de la porter à celui-ci. Il arrive au palais hors d’haleine, franchit la double haie des gardes, et, tombant à genoux, remet à Sun-tsé lui-même le mystérieux billet. Le prince rompt le cachet avec empressement ; ces lignes écrites de la main d’un traître allument dans ses yeux un éclair de fureur : il ordonne que l’officier coupable lui soit amené.

— Que vous ai-je donc fait, lui dit-il avec une surprise douloureuse, pour que vous fassiez déjà creuser ma tombe ?

— Sire, répliqua l’officier en balbutiant, j’affronterais pour vous dix mille morts !…

— Non répondit Sun-tsé en lui montra sa dépêche, c’est trop de dévouement ! Vous ne donnerez votre vie qu’une fois, pour expier, votre trahison.

Sur un geste du prince, les gardes saisirent l’officier, et il fut étranglé à l’instant. La famille du supplicié se hâta de prendre la fuite ; d’après