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de prononcer sur quelques gouttes d’eau des formules mystérieuses le vent et la pluie obéissaient à leur voix ; l’avenir n’avait pas de secrets pour eux, et ils connaissaient l’art de ne pas vieillir. Cinq cent mille hommes se levèrent en armes à l’appel de ces illuminés qui se disaient envoyés par le ciel ; ils avaient adopté pour signe de reconnaissance une pièce d’étoffe jaune dont ils se couvraient la tête : de là le nom de Bonnets-Jaunes que l’histoire leur a conservé.

Ce ne fut pas sans peine que les troupes impériales triomphèrent de ces rebelles, qui ne reconnaissaient plus l’autorité du souverain, commettaient toute sorte de brigandages et avaient juré la ruine de la société entière, quitte à la reconstruire plus tard sur un nouveau plan. Si les Chinois lisaient les annales de notre Europe chrétienne et civilisée ils croiraient retrouver les descendans de leurs Bonnets-Jaunes dans les millénaires les hussites les Albigeois et tant d’autres sectaires. L’Orient, qui nous a envoyé sa lumière, — ex Oriente lux, — y a aussi mêlé quelques ténèbres. Si j’accorde la priorité aux Chinois, c’est que les événemens auxquels je fais allusion se passaient il y a plus de quinze siècles ; pour la Chine qui est si vieille, cette haute antiquité n’est que le moyen-âge.

La défaite des Bonnets-Jaunes ne ramena pas le calme dans l’empire. Les sectaires avaient été dispersés, leurs chefs avaient péri, mais leurs doctrines vivaient encore dans l’esprit des peuples. Le respect pour les traditions et la foi dans la durée des institutions anciennes, qui ont toujours fait la solidité et la force de ce grand pays, n’exerçaient plus sur les cœurs la même influence. Les mandarins qui avaient tenu tête aux rebelles penchaient à croire comme eux que la dynastie régnante, celle des Han, allait bientôt s’éteindre. Parmi les généraux auxquels l’état devait son salut, il y en avait plus d’un qui cherchait à exploiter à son profit cette croyance populaire. La force matérielle l’emportait sur les idées : aux prophètes succédèrent les prétendans. Chaque gouverneur de province se coupait, dans ce grand empire démembré, une principauté à sa taille, et la féodalité, année de pied en cap, reparaissait sur tous les points du territoire. Pendant cette période d’anarchie, le trône fut occupé successivement par deux ou trois petits princes qui n’avaient d’empereur que le nom. Ils végétaient sans puissance au sein d’une cour corrompue, tenus en tutelle par d’ambitieux ministres, qui prenaient près de ces rois fainéans le rôle de maires du palais. D’autre part aussi, les principautés qui s’étaient formées à la faveur d’une révolution et par suite de guerres civiles n’eurent qu’une durée éphémère ; elles firent retour à l’empire les unes après les autres, à l’exception de deux qui se constituèrent en royaume pour quelque temps encore. C’est du fondateur de l’un de ces deux royaumes, — Sun-tsé, prince de Ou, — que j’ai à vous entretenir, et