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contre lui-même ; mais la conscience publique était demeurée indifférente à ces violations multipliées, parce que les institutions du temps n’étaient au fond qu’une lettre morte, et qu’aucun parti n’était en mesure de doter le pays d’un gouvernement durable en s’imposant à l’opinion. Les jacobins avaient vu s’évanouir leur puissance avec la terreur, qui en avait été le seul ressort ; les thermidoriens, de leur côté, eurent bientôt à se défendre devant la France rendue à la plénitude de sa liberté et à toute l’horreur de ses souvenirs ; enfin les girondins, appelés sur leurs sièges par les hommes qui les avaient proscrits, se trouvèrent atteints d’une impuissance égale à celle de leurs anciens persécuteurs. Quoiqu’ils rentrassent dans la convention avec le double prestige de grands talens et de longues infortunes, leur parole y demeura sans retentissement, et leur influence ne fut pas plus sensible dans le pays qu’au sein de la représentation nationale. Louvet et ses amis avaient l’esprit trop hautain et trop stérile pour comprendre une situation nouvelle et pour s’y plier ; aussi la France oublia-t-elle les victimes du 31 mai sitôt qu’à leur égard la réparation fut consommée preuve certaine que la Gironde avait été une coterie plus qu’un parti, et qu’elle était demeurée sans racine dans les intérêts comme dans les idées.

Les opinions contraires n’étaient pas atteintes d’une impuissance moins incurable. La noblesse, jetée presque tout entière dans l’émigration ou soumise à l’odieux ilotisme créé par la loi des ôtages, avait trop de griefs à imputer au pays pour que celui-ci ne la crût pas irréconciliable : elle était en suspicion à peu près générale à quiconque avait concouru à la révolution quelque degré que ce fût, et, condamnée à espérer des défaites que la fortune de la France faisait attendre, l’émigration était devenue le principal obstacle aux progrès de sa propre cause, quelque héroïque dévouement qu’elle mît à la servir.

Une puissante et victorieuse réaction s’opérait, il est vrai, dans l’opinion publique par l’action combinée de la presse et du scrutin. Commencée lors de la nomination du premier tiers des deux conseils, elle devint dominante aux élections générales de l’an V, et cette réaction put à bon droit être qualifiée de royaliste, car elle était manifestement dirigée contre la république, dont le nom résumait pour le peuple toutes les douleurs et tous les crimes de ces calamiteuses années. Cependant, quelque universel que fût alors ce mouvement de répulsion, il suffisait d’étudier les faits pour rester convaincu qu’il ne pouvait point aboutir. La réaction anti-républicaine, dont la bourgeoisie parisienne était le siège principal, s’opérait sous le drapeau tricolore et point du tout sous le drapeau blanc ; elle n’impliquait l’abandon d’aucune des conquêtes politiques opérées par la révolution, d’aucun des principes