Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ferdinand VII (il va, sans le dire que le commentaire catholique restait supprimé). Ceci fut, toléré, nonobstant les plaintes du haut clergé, par le ministère Isturitz. Plus tard, encouragé par ce premier succès, et poussé par cette excessive passion de philologue que nous avons déjà signalée en lui, M. Borrow passa outre, et tenta de mettre en circulation une bible basque, puis une bible en rommany ; mais du fond de sa tombe la défunte inquisition guettait ses moindres démarches, et cette fois, Ofalia étant ministre, on crut le moment venu d’en finir avec l’hérétique propagandiste. Après une saisie pratiquée dans ses magasins de bibles, les alguazils, s’emparant de sa personne, le conduisirent au corrégidor, qui, sans le moindre interrogatoire, et sur une simple constatation d’identité, l’envoya tout droit à la Carcel de la Corte.

Il n’y avait pas là de quoi terrifier un homme d’un certain tempérament. C’est à peine si M. Borrow fut contrarié de sa mésaventure. Il savait que les deux principaux agens diplomatiques anglais résidant alors à Madrid, — MM. Villiers[1] et Southern, — ne laisseraient pas dans l’embarras un délégué de la Société biblique, et quant aux inconvéniens provisoires d’une courte détention, ils étaient plus que balancés à ses yeux par le bénéfice des nouvelles connaissances qu’elle allait lui procurer. On l’eût bien autrement contrarié si on l’eût enfermé dans un cercle de grands d’Espagne et de femmes à la mode. Lorsque M. Southern, informé que son compatriote venait d’être arrêté, s’empressa de le venir consolés, il le trouva déjà muni de ses meubles, qu’il s’était fait apporter, et faisant main-basse sur d’abondantes provisions appelées à suppléer le maigre ordinaire de la Prison de la Cour. Une lampe était allumée sur sa table ; son brasero bien ardent avait déjà dissipé l’humidité du cachot où il s’installait comme dans un nouveau logement. Déjà aussi une certaine popularité se trouvait acquise, parmi les porte-clés (claveros), les gardiens et les prisonniers, à ce nouveau venu si parfaitement philosophe : « Vous sortirez dès demain, je vous en réponds, lui dit M. Southern, qui riait de bon cœur en voyant les choses tourner ainsi. — Je vous rends grace, mais j’espère qu’il en sera autrement, répondit le prisonnier. Ils m’ont mis ici pour leur plaisir ; je compte y rester pour le mien. »

C’était là une manière de voir admirablement adaptée aux secrets désirs du diplomate anglais. En effet, l’occasion était magnifique pour déployer, à coup sûr et dans une cause évidemment juste, cette susceptibilité calculée qui a si bien réussi, en mainte, occasion, au gouvernement britannique. M Borrow n’était pas un Finlay aux griefs imaginaires, un Pacifico à la nationalité équivoque : c’était un Anglais pur-sang, un protestant de la vieille roche, persécuté pour ses bonnes

  1. Aujourd’hui vice-roi d’Irlande sous le titre de lord Clarendon.