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dissimulaient notre petit nombre aux yeux des Espagnols surpris, tandis qu’à peu de chose près nous connaissions leur force. Les cris forcenés de hurra ! Mejico ! independencia ! retentissaient de tous côtés, et parfois j’entendais le colonel qui s’écriait : — Au commandant ! au commandant ! Qu’on le prenne vif, mais pas une égratignure !

Je regrettai alors l’absence de Valdivia, dont le bras puissant nous est été si utile. Tandis que je faisais de vains efforts pour pénétrer jusqu’au commandant, que je reconnaissais à son uniforme, un large nœud coulant plana un instant au-dessus de lui et s’abattit sur sa tête ; je le vis chanceler et tomber, puis je ne vis ni n’entendis plus rien : un coup de crosse de carabine, que je reçus sur le crâne, me jeta sans connaissance sous les pieds des combattans. Quand je revins a moi, la cour de l’hacienda était calme ; l’héroïque Valdivia était couché à côté de moi. Des torches allumées, disposées dans la main des porteurs de manière à tracer une large circonférence de lumière éclairaient vivement tous les objets, et dans un espace resté libre au milieu de la zône éclairée par les torches on s’occupait à planter quatre piquets.

— Où suis-je ? m’écriai-je en reconnaissant Valdivia.

— Chez vous, parbleu ! répondit-il. Nous sommes vainqueurs, je vous l’avais bien dit. Il est vrai que…

— Et quelle cérémonie prépare-t-on ici ? interrompis-je.

— C’est une vengeance qui va réjouir le colonel Garduño, répondit Valdivia.

Quand les quatre piquets furent plantés à une distance à peu près égale les uns des autres, on amena un homme dépouillé de son uniforme, pâle et les yeux hagards. Je reconnus le commandant espagnol que j’avais vu tomber dans la mêlée.

— Commandant, dit le colonel, qui s’avança au milieu du cercle de lumière, vous avez gratuitement outragé un ennemi pris les armes à la main, et vous subirez le même outrage.

Sur un geste de Garduño, on coucha le commandant à plat-ventre ; ses pieds et ses mains furent attachés à quatre piquets, et la flagellation commença. Je détournai la tête pour ne pas voir ce triste spectacle, qui me disait assez la nature de l’outrage que le colonel avait subi lui-même par ordre du commandant espagnol.

— Allez maintenant, reprit le colonel quand l’exécution fut terminée, et souvenez-vous de ne plus déshonorer votre nom en violant les lois de la guerre. Le commandant s’éloigna, au milieu des huées des soldats, en dévorant des larmes de rage.

— Et vous, mon brave, dis-je à Valdivia étendu près de moi, que vous est-il arrivé ?

— J’ai accompli ma promesse, reprit simplement le soldat. Un exprès