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groupe singulier. Le général se leva enfin, et, après s’être promené à grands pas de long en large pendant cinq minutes, en fumant par bouffées rapides, comme il le fumait lorsqu’un parti s’agitait dans sa tête, il prit brusquement son képi et se rendit chez le général Cavaignac. La razzia était décidée, puisque les Hamian-Garabas avaient l’imprudence de se mettre a portée de filet, il ne fallait point laisser échapper l’occasion de les atteindre. Les ordres furent immédiatement expédiés, et, les dernières dépêches écrites, nous allâmes rejoindre les officiers de la garnison au cercle où ils se réunissaient ; car Tlemcen est ville où rien ne manque : vous y trouverez un théâtre, bien mieux, des Espagnoles au sourire provoquant. Tlemcen doit tout ce bien-être au général Bedeau, et l’on parle encore du jour où les prolonges du train, couronnées de feuillages, entrent dans la ville au son de la musique et des fanfares des régimens.

Le surlendemain, le général Cavaignac prenait la direction du sud, pendant que nous faisions route pour Lèla-Marghnia, le poste le plus voisin de la frontière marocaine.


III

Trompée les heures, c’est le grand talent des gens habitués aux longues marches ; et tous nous courions les grands chemins depuis trop long-temps pour n’être point passés maîtres en la besogne. Un ruisseau, une pierre, une colline étaient l’occasion d’une histoire. Je me rappelle encore le rire de ceux de nos compagnons de course qui traversaient ce pays pour la première fois, lorsque l’on raconta les niches d’un lion à la colonne du général de Lamoricière en 1844, et la vengeance que le général en tira.

La colonne qui allait fonder en 1844 le poste de Lèla-Marghnia, surprise par les inondations entre la Tafna et le Mouila, fut obligée de bivouaquer. Le pays était sûr, malgré la proximité de la frontière ; mais, comme trois ou quatre lions, rôdaient depuis quelque temps, aux environs, le général avait donné l’ordre d’entourer le troupeau de broussailles et d’abattis d’arbres, et recommandé à la garde d’avoir l’œil au guet. Les ordres exécutés, la colonne s’endormit. La moitié de la nuit était passée, la pluie tombait à torrens, et les factionnaires, s’abritant de leur mieux dans les couvertures de campement, se croyaient bien tranquilles, lorsqu’un rugissement se fait entendre près du camp ; puis l’on voit passer dans l’air trois ou quatre points noirs, et aussitôt, frappé de terreur, le troupeau se précipite dans toutes les directions, renversant les hommes, les tentes, les faisceaux, et soulevant sur tout son passage une tempête de jurons. Un lion s’en était venu chercher sa provision du jour ; de là tout ce tapage. Le lendemain, on eut beau battre l’estrade, on ne retrouva que quatre bœufs ;