Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un ou deux lazos enroulés autour du canon et sous le ventre de l’intrépide soldat servirent à le fixer comme une caronade à bord d’un vaisseau.

— Chargez la pièce jusqu’à la gueule, s’écria Valdivia.

Les balles continuaient toujours à pleuvoir, et un des hommes qui bourraient le canon tomba mort à côté du soldat transformé en affût. On vint à bout cependant de charger la pièce.

— Baissez-vous un peu, dis-je à Valdivia, là… c’est bien, maintenant tenez ferme.

L’affût vivant resta immobile comme s’il eût été de fer. Je pris la mèche des mains d’un soldat et je l’approchai de la lumière. Le coup partit ; un large trou fut ouvert dans le mur.

— Eh bien ! s’écria Valdivia en se soulevant à demi sur ses puissantes mains pour juger de l’effet du boulet.

— Tout va bien, ami ; le boulet a porté en plein. Valdivia reprit sa posture ; on rechargea de nouveau la pièce jusqu’à la gueule : le second coup tonna contre le mur, d’où s’élevèrent des flots de poussière.

Cette fois encore Valdivia se dressa à demi. – Oh ! c’était beau, seigneur cavalier, c’était beau de voir cet homme fort comme vingt hommes se soulever à chaque coup et soulever avec lui la masse énorme attachée à ses reins. Les veines du front gonflées, la figure enflammée, Valdivia suivait de l’œil la trace du boulet qu’il servait à guider. Nos braves qui jusqu’alors avaient hurlé de soif rugissaient d’admiration.

— Encore un coup, s’écria l’athlète, mais pointez plus à gauche.

Je fis ce que commandait Valdivia. On mit dans le canon une troisième charge, et pour la troisième fois l’explosion gronda. Cette fois je crus entendre une exclamation sourde de Valdivia, qui fit un effort pour se soulever un peu, mais sans pouvoir y réussir. Je détachai alors le canon des reins du soldat. Valdivia poussa un soupir de soulagement et voulut se mettre debout ; effort inutile ! ses jambes lui refusèrent le service, et cet homme si fort, si vigoureux, s’affaissa sur lui-même comme une masse inerte.

Sans me douter cependant que cette merveille de force, que ces bras nerveux, qui valaient pour nous une machine de guerre, fussent désormais paralysés, je courus à la brèche que nous venions d’ouvrir. Pendant ce temps, les cinquante hommes commandés par le colonel s’étaient élancés de leur cachette à notre troisième coup de canon, et les cris qu’ils poussaient en accourant firent diversion en notre faveur : en un clin d’œil, une trouée sanglante fut ouverte dans les rangs espagnols. À travers la brèche, nos soldats altérés avaient aperçu dans la cour de l’hacienda la noria qui en occupait le milieu, et nulle puissance humaine n’eût pu résister à l’impétuosité de leur attaque. Ce fut bientôt dans la cour de l’hacienda une mêlée terrible et furieuse comme dans un abordage sur mer. Les ténèbres