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détroit qui rendait toute navigation à voile impossible. Le Caméléon, bateau à vapeur du maréchal venu pour l’attendre, avait éprouvé une forte avarie, qui ne lui permettait pas de reprendre la mer avant quarante-huit heures. L’on ne savait à quel saint se vouer, lorsque d’honorables négocians d’Oran, MM. Dervieux, apprirent l’embarras où se trouvait le général de Lamoricière. Ils possédaient un petit bateau à vapeur, la Pauline, qui faisait le service d’Espagne : ils le lui offrirent, ne demandant même pas le prix du charbon brûlé. Douze heures après, la Pauline mouillait en rade de Djema, pendant que le maréchal, de son côté, recevait les dépêches à Mostaganem et annonçait son arrivée pour le lendemain. Dans la nuit, la Pauline était de retour, et dès cinq heures du matin, l’état-major expédiait les ordres. À sept heures, les troupes descendaient vers la Marine pour aller recevoir les prisonniers. La ville entière était en joie ; chacun avait mis ses habits de fête ; gens du midi et gens du nord, le Valencien au chapeau pointu, l’Allemand lourd et blond, le Marseillais à l’accent bien connu, toute la foule bariolée enfin, les femmes surtout, toujours avides de spectacle, marchaient à la suite des troupes. Les bataillons rangés du Château-Neuf jusqu’au fort de l’Hamoun, se déroutaient au flanc de la colline, sur un espace de près de trois quarts de lieue, comme un long serpent de fer.

Le ciel était sans un nuage, ce beau soleil de décembre d’Afrique, plus beau que le soleil du mois de mai à Paris, éclairait la foule, le port et la ville. La vaste baie, unie comme un miroir d’azur, semblait se prêter à la joie de la terre, et les murmures du flot qui baignait les rochers du fort étaient si doux, qu’on eût dit les murmures d’un ruisseau. Au fort l’Hamoun, un pavillon est hissé ; la Pauline a quitté Merz-el-Kébir, elle double bientôt la pointe, rase les rochers et s’arrête à quelques mètres du quai. Tous les regards se portent vers le navire. Le canot major du Caméléon, avec ses matelots en chemises blanches au col bleu, se tient près de l’échelle ; les rames sont droites, saluant du salut réservé aux amiraux le soldat qui a versé son sang et supporte la captivité pour l’honneur du drapeau.

Le canot s’éloigna du navire, la foule devint silencieuse ; on était avide de voir ceux qui avaient tant souffert. — Ils accostent ; le général de Lamoricière le premier tend la main au commandant de Cognord, et l’embrasse avec l’effusion d’un soldat. — La musique des régimens entonna alors un chant de guerre, et elle répondait si bien aux sentimens de ce peuple entier, que vous eussiez vu des éclairs jaillir de tous les regards, des larmes sortir de tous les yeux, à mesure que le son, roulant d’écho en écho, allait porter à travers tous les rangs la bonne nouvelle de l’arrivée. On se remet en marche, les tambours battent aux champs, les soldats présentent les armes les drapeaux, saluent, et ils