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s’est rapprochée. Ce fut un moment solennel, celui où la longueur d’un fusil séparait seule la poitrine de nos braves matelots du groupe ennemi. La trahison était facile. Le chef arabe demande l’argent ; on lui montre la barque qui croisait au large ; s’il veut passer à bord, il est libre de le compter. Le chef accepte ; au signal convenu, le canot espagnol se rapproche ; on compte l’argent ; la moitié des lourdes caisses est transportée à terre, la moitié des prisonniers est remise en même temps, le reste de l’argent est compté, les derniers prisonniers s’embarquent, et M. Durande se hâte de pousser au large. Le vent était favorable, on arriva promptement à Melilla, où la garnison espagnole entoura d’hommages ces vaillans soldats dont le courage n’avait pas faibli un instant durant ces longs mois d’épreuves.

Tous cependant avaient hâte d’arriver sur une terre française ; aussi, comme le vent soufflait du détroit, ils s’embarquèrent sur la balancelle, et, douze heures après, le colonel Mac-Mahon et la petite garnison de Djema-Rhazaouat fêtaient dans un repas de famille le retour de ceux que l’on croyait perdus à quelques lieues du marabout de Sidi-Brahim, le témoin de leur héroïque valeur. Quant à M. Durande, il était dérobé aux félicitations de tous ; impatient d’accomplir jusqu’au bout sa mission, il avait repris la mer afin d’annoncer au général la bonne nouvelle.

Nous obtînmes ces détails à grand’peine ; mais enfin, le thé et le grog aidant, M. Durande avait parlé ; on en savait assez pour écrire sur-le-champ à M. le maréchal, qui arrivait à Mostaganem par la vallée du Chéliff, et, tandis que l’un de nous menait le brave enseigne prendre un repos si bien gagné, le colonel de Martinprey, assis devant le bureau du général, écrivait sous sa dictée la lettre que les cavaliers arabes allaient portez en toute hâte. L’année d’auparavant, c’était une dépêche du colonel de Martinprey qui avait donné la première nouvelle du désastre ; chargé aussitôt d’une mission pour Djema, c’était lui qui avait transmis tous les détails du combat de Sidi-Brahim, et maintenant sa main encore allait envoyer la nouvelle de la délivrance de ceux dont, par deux fois déjà, il avait raconté la terrible histoire. Aussi, lorsque nous nous étions approchés du bureau, nous avait-il écartés, nous disant : « Pour cette fois, je prends votre place ; laissez-moi, je suis superstitieux. »

Les courriers expédiés, chacun regagna son lit, et, le lendemain, réunis au déjeuner, nous nous réjouissions en pensant que nous verrions bientôt nos compagnons d’armes car l’ordre venait d’être envoyé de faire repartir pour Djema le Véloce, que l’on attendait à chaque heure, sans lui laisser le temps de s’amarrer, lorsqu’on vint annoncer que le Véloce, était signalé passant au large avec le cap sur Alger. L’embarras était grand : pas de bateau à vapeur, un vent du