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impraticable : c’est un besoin, n penchant insurmontable pour les provinces dans chaque état, pour les états dans la civilisation, de communiquer l’un avec l’autre. La preuve matérielle en est visible, elle est dans les sommes énormes que dépensent les états et les provinces pour les moyens de communication de toute sorte. On est uni par les idées et les sentimens, on doit, on veut s’unir aussi par les intérêts ; c’est à l’avantage de tout le monde. Mais comment, suivant quelle méthode nous dégager de l’étreinte du système protecteur ?


VII. – LE REGIME PROTECTEUR NE PEUT ËTRE MAINTENU MÊME TRANSITOIREMENT QU’AU MÊME TITRE QUE LA TAXE DES PAUVRES EN ANGLETERRE. – DE LA MANIERE D’OPERER LA TRANSITION.

C’est pour les pouvoirs publics une haute convenance de procéder au changement de front avec beaucoup de ménagement. L’opinion protectioniste est puissante en France, les meneurs l’ont surexcitée. Peu scrupuleux sur les moyens, ils ont attisé les haines nationales, ils se sont efforcés d’accréditer parmi les classes ouvrières l’opinion que les partisans de la liberté du commerce parlaient ou agissaient dans un intérêt exclusivement anglais, à l’instigation des Anglais[1], contrairement à l’intérêt français, et le patriotisme sincère, mais crédule, des masses a accueilli ces assertions. Rien pourtant n’est plus inexact. Depuis 1846, les Anglais admettent à peu près tous nos produits sans droits ou avec des droits extrêmement modiques. Ils le font, parce qu’ils ont reconnu, ce qui n’est pas bien difficile à constater lorsqu’on examine les faits avec un esprit libre de préjugés, qu’il est de l’intérêt de chacun, peuple ou individu, d’acheter les denrées et les objets de toute sorte là où on les trouve au plus bas prix : ils ont pris ce parti sans nous rien demander en retour ; ils eussent pu y mettre des conditions[2], ils ne l’ont pas fait. Il leur a suffi de savoir que pour eux-mêmes ce serait un grand avantage d’ouvrir le marché britannique

  1. En 1848, le comité directeur des protectionistes avait fait imprimer un placard qui excitait les ouvriers contre l’Angleterre et contre les partisans de la liberté du commercé, qu’on représentait comme des instrumens des Anglais, et il en avait envoyé de nombreux exemplaires aux manufacturiers des départemens pour être affichés dans les ateliers. Les manufacturiers de Mulhouse, auxquels, on en avait adressé, les renvoyèrent avec dégoût. Ce fut le comité directeur qui fit publier ce placard dans le journal qui lui appartenait à Paris. Il ne peut l’avoir fait que parce qu’il considérait cette méchante action comme un titre de gloire.
  2. En 1840, avant le 15 juillet, un traité de commerce se négociait entre les deux pays. L’administration française écartait quelques prohibitions et diminuait quelques droits en retour de quelques modifications qu’on aurait apportées au tarif anglais. Les lois de douanes qui, à partir de 1842, ont été votées par le parlement anglais nous accordent vingt fois ce que nous demandions en 1840, et nous n’avons pas même cédé le peu, que nous étions prêts à consentir alors.