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ils firent une manifestation publique d’une inconvenance suprême. Au commencement de novembre 1846, ils publièrent un manifeste dûment, signé et paraphé, par lequel le ministère était sommé de déclarer explicitement et sans délai[1] qu’il entendait maintenir le système protecteur sans en rien rabattre, sans toucher même aux prohibitions absolues, faute de quoi on lui signifiait qu’on armerait ses ennemis[2].

Le gouvernement supportait péniblement ce joug. Les grandes réformes que l’Angleterre venait d’introduire dans son tarif l’avertissaient que le régime de la protection avait fait son temps. Pendant que sir Robert Peel bravait la puissante aristocratie de l’Angleterre et en triomphait dans la question des céréales ; de ce côté du détroit se laisserai-t-on, indéfiniment insulter et garrotter par une poignée de déclamateurs ? En, conséquence, le 21 mai 1847, le gouvernement se détermina à présenter un projet de réforme douanière. On effaçait quelques prohibitions subalternes, en les remplaçant par des droits élevés[3]. On autorisait l’entrée en franchise d’un grand nombre d’objets : ce n’étaient guère que ceux qui semblent avoir été inscrits au tarif pour l’allonger au mépris du bon sens, ou pour ennuyer le commerce et multiplier le nombre des préposés de la douane. Dans cette longue série de deux cent quatre-vingt-dix huit articles qu’on affranchissait absolument ou conditionnellement, vingt cinq ou trente seulement[4] sont importés en quantités notables ; pour ceux-ci et pur la

  1. On y disait que le délai de deux mois et demi qu’il y avait à courir jusqu’à l’ouverture de la session était un siècle.
  2. Voici le dernier paragraphe de cette pièce curieuse : « Croyez plutôt, messieurs les ministres, à la sincérité de nos paroles, à la maturité de nos réflexions, à la vérité de nos inductions, et, par un silence qu’aucun grave motif ne semblerai justifier, ne hâtez pas la crise qui menace, ne prolongez pas l’incertitude qui gagne tous les esprits et tend à ébranler toutes les convictions ; ne faites pas que vos ennemis soient armés par ceux qui veulent toujours contribuer avec vous à la prospérité du pays. »
  3. Les objets qui devaient cesser d’être prohibés étaient la chicorée moulue, le cristal de roche ouvré, le curcuma en poudre, les eaux-de-vie de grains et de pommes de terre, les fils de poil autre que de chèvre, de vache et de chien ; les glaces non étamées, les nankins venant d’un autre pays que l’Inde, divers produits chimiques, la tabletterie, les tissus de bourre de soie façon cachemire ; les tissus de cachemire fabriqués au fuseau dans les pays hors d’Europe, autres que châles et écharpes ; les tissus de crin non spécialement tarifés déjà, les tissus d’écorces d’arbres, les tissus de soie de l’Inde non importés directement (à l’importation directe ils étaient déjà admis) ; les étoffes de soie mélangée d’or ou d’argent faux ; les tulles de soie, les tulles de lin, les voitures pour le transport des personnes.
  4. Les nitrates de potasse et de soude des pays situés au delà du cap Horn ou du cap de Bonne-Espérance, les bois de teinture, le cuivre pur de première fusion, l’étain, les dents d’éléphant, le guano, le carthame, les grandes peaux brutes fraîches, les peaux de chevreau fraîches et sèches, la résine copal, les bois, de construction de pin, de sapin, d’orme, de noyer, le merrain et le feuillard, la chaux, la baleine, la graine de moutarde, les graisses de poisson de pêche française, le jus de citron, le manganèse, le minerai de