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— Je ne nie pas que cette admission, si elle se faisait brusquement et sans gradation, eût des inconvéniens qui, pour être temporaires, ne laisseraient pas d’être fort graves ; mais est-ce que les machines, quand elles s’introduisent inopinément sur de grandes proportions, ne portent pas atteinte momentanément à de nombreuses existences, très dignes de sympathie et de respect ? Allez le demander aux pauvres fileurs de la Bretagne et des Flandres. Pourquoi se félicite-t-on de ce changement, qui est plus particulièrement rigoureux pour l’ouvrier, et repousse-t-on sans rémission l’autre qui ferait plus spécialement sentir l’aiguillon au chef d’industrie ?

Ainsi, en résumé, le système prétendu protecteur est en opposition avec la liberté, avec la justice. Il fait obstacle à la vie à bon marché, qui doit plus que jamais figurer dans le programme de la politique française. Il opère une influence déplorable sur la condition des classes ouvrières en particulier. La doctrine sur laquelle il repose est entachée des dangereuses erreurs qui affectent les systèmes socialistes les plus justement réprouvés. De quelque métaphore qu’on le flanque, à quelque bonne intention qu’il ait été introduit dans nos lois, quelque sincérité qu’il y ait dans le zèle avec lequel on le défend de nos jours, c’est une institution malfaisante dont il faut nous défaire. Là-dessus il n’y a pas de droits acquis. Quand une législation est reconnue contraire à la liberté et à la justice, personne n’est fondé à en revendiquer le maintien à titre de droit.

Je prie le lecteur de me tenir compte de ce que dans la critique présentée plus haut, du point de vue de la liberté, je me suis borné à ce qui touche à la liberté du travail, proprement dite. Si j’eusse envisagé la liberté humaine d’une manière plus générale, j’aurais eu des reproches bien autrement sévères à adresser au système protecteur ; Le protectionisme, tel que nous l’avons chez nous, ne respecte la liberté sous aucun aspect ; il la poursuit sous quelque forme qu’elle se présente ; il foule aux pieds la liberté du domicile : tout fabricant d’objets protégés par la prohibition absolue, — et les neuf dixièmes des articles manufacturés les plus usuels sont dans ce cas, — est investi de la prérogative monstrueuse de requérir des visites domiciliaires chez telle personne qu’il lui plaît. Tous les ans des fabricans ainsi protégés usent de ce droit dans Paris même. On fait fouiller de la cave au grenier, les maisons non seulement ses commerçans que l’on soupçonne, mais encore de leurs amis non commerçans. On m’a cité un médecin qui a eu à subir l’avanie d’une visite domiciliaire, parce qu’il était l’ami d’un marchand de nouveautés. La liberté de la personne, la pudeur des femmes n’arrête pas davantage les protectionistes. En vertu du système protecteur, la femme et la fille de chacun de nous sont exposées à l’affront des visites à corps toutes les fois