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de se les approprier, s’il ne les devance pas lui-même. Ce que la société doit, c’est à tous la liberté, à tous une égale justice ; et c’est précisément pour cela qu’elle ne peut s’accommoder de monopoles décernés sous le titre de protection, à la faveur desquels, comme le disaient M. Cobden et ses amis, telles, ou telles catégories de personnes mettent sans cérémonie, en présence des magistrats et avec leurs concours, la main dans la poche de leurs concitoyens.

Sur ce point ; les vrais principes furent fort clairement indiqués dans la chambre des communes en 1846, alors qu’on discutait la liberté du commerce des céréales. Un orateur protectioniste, interpellant vivement sir Robert Peel, le somma de dire quel prix de vente il garantissait aux propriétaires. « Moi ! répondit l’illustre homme d’état, je ne vous garantis aucun prix. Ce n’est pas au gouvernement de vous garantir vos profits ; garantissez-les-vous à vous-mêmes, en surpassant vos compétiteurs, ou tout au moins en les égalant par votre activité, votre esprit d’ordre et votre intelligence. » Il n’y pas d’autre langage à tenir dans une société qui croit à la liberté et qui par conséquent a le sentiment de la responsabilité humaine. Et qu’est-ce que les protectionistes eux-mêmes répondent aux socialistes, quand ceux-ci demandent qu’on garantisse aux ouvriers un minimum de bien-être ? Dans un de ses excellens opuscules, Bastiat s’est proposé d’établir que le principe du protectionisme était le même que celui du communisme[1]. Bastiat a dit vrai : de part et d’autre, c’est l’intervention arbitraire de l’état dans des transactions qui, pour le bon ordre de la société, devraient être libres. Les relations entre le système protecteur et le communisme sont tellement intimes, que, pour être complets, ils ne sauraient se passer l’un de l’autre. Appliquez le communisme ayez les ateliers sociaux de M. Louis Blanc, et vous serez forcés de fermer hermétiquement la frontière aux produits de l’étranger, car la concurrence étrangère ferait crouler tout l’échafaudage. Pareillement, prenez au sérieux la promesse du système protecteur de protéger tout le monde sans exception : vous n’avez qu’un moyen de la réaliser ; pour faire profiter de la protection les industries qui, en dépit des droits inscrits à leur profit dans les lois de douanes, rendent leurs produits au même prix ou à meilleur marché que l’étranger, il vous faudra décréter un minimum de prix de vente. Ce sera le législateur qui décidera ce que chaque article doit valoir chez le marchand. Nous serons revenus aux beaux jours de la convention. Les communistes battront des mains, nous serons en plein dans leurs eaux, l’état aura la souveraineté de l’industrie. Tant qu’on j’aura pas rendu des décrets de ce genre, le système protecteur sera entaché d’une

  1. Protectionisme et Communisme.