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composition bien des vérités hardies dont un prince sage pourrait profiter ; mais tant de haine et de fiel me troublaient ; le North Briton est aussi loin de l’égaler en cela qu’en force, en esprit, en jugement. Mais tandis que j’attendais de cet audacieux essor sa ruine et sa chute dernière, regardez-le s’élever plus haut encore et venir s’abattre et fondre sur les deux chambres du parlement. Oui, il a fait de vous sa proie, et vous saignez encore des blessures de ses serres. Vous vous êtes courbés, vous vous courbez encore sous sa fureur. Il n’a pas craint même les terreurs de votre front, monsieur l’orateur ; il s’est attaqué même à vous ; oui, il l’a fait, et je crois que vous n’avez pas lieu de triompher de cette rencontre. En un mot, après avoir emporté notre aigle royal dans ses griffes et l’avoir frappé contre les rochers, il vous a laissé tout abattu. Roi, lords et communes ne sont que le jouet de sa colère. S’il était membre de cette chambre, que ne pourrait-on pas attendre de son savoir, de sa fermeté, de son intégrité ? Il se ferait aisément reconnaître à son mépris du danger, à sa pénétration, à sa vigueur. Rien n’échapperait ni à sa vigilance, ni à son activité. Les mauvais ministres ne pourraient rien dérober à sa sagacité, et promesses ni menaces ne le pourraient décider à rien dérober au public. »

Lord North répondait : « Lorsque des hommes factieux et mécontens ont amené les choses à l’état où nous sommes, comment serions-nous surpris de la difficulté de livrer des libellistes à la justice ? Comment nous pourrions-nous étonner que le grand sanglier du bois, ce puissant Junius, ait rompu les toiles et mis en défaut les chasseurs ? Quoiqu’il puisse n’y avoir à présent aucune épieu qui doive l’atteindre, il pourra cependant une fois ou l’autre être pris. En tout cas. il se sera épuisé en efforts infructueux ; ces défenses qu’il a aiguisées pour blesser et ébrécher la constitution seront usées. La vérité finira par prévaloir. Le public verra, sentira que Junius a avancé des faits faux, ou faussement raisonné sur de vrais principes, et que, s’il a échappé, il l’a dû à l’esprit du temps, non à la justice de sa cause. Le North Briton, le plus criminel libelle de son temps, aurait joui de la même sécurité, s’il avait été aussi puissamment soutenu ; mais la presse n’avait pas alors couvert le pays de sa lèpre funeste, ni empoisonné les esprits du peuple. Les écrivains politiques avaient encore quelque honte ; ils avaient quelque respect pour la couronne, quelque respect pour le titre de majesté. Il n’y avait pas alors démembres du parlement assez hardis pour faire des harangues en faveur des libelles. On pouvait difficilement amener les légistes à plaider leur cause. Maintenant la scène est entièrement changée. Hors des portes, en dedans des portes, prévaut un désordre abusif. Les libelles trouvent des avocats dans les deux chambres aussi bien que dans Westminster-Hall. Bien plus, on lance des libelles contre les juges eux-mêmes. On veut assouplir le