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antagonistes, à celles même que lui portent, pour leur plus grande honte, par vanité, par légèreté, par envie, par tant de motifs quelquefois si misérables, ses défenseurs et ses héros. Nous croyons encore autre chose ; nous croyons que le régime de discussion n’aurait pas été plus tôt mutilé ou étouffé par quelque prérogative exorbitante, qu’il ressusciterait plus énergique, et les prosélytes les plus passionnés qui soupireraient après cette résurrection, ce seraient justement, nous en sommes sûrs, les citoyens honorables et bien pensans qui vont se récrier de toutes leurs forces contre cet oracle, tant ils sont persuadés aujourd’hui qu’ils veulent tout de bon la mort de la liberté. Conjurons-les donc de s’épargner la peine qu’il faudrait, plus tard, pour la faire revenir, en ne se donnant pas le mal qu’ils se donnent à présent pour l’immoler.

Nous plaçons, sous le bénéfice des observations qui précèdent, le récit des quelques scènes que nous avons maintenant à raconter, et que nous ne nous soucions pas, on le conçoit, d’allonger outre mesure. C’est le récit d’une déroute, la déroute de la majorité. Nous n’essayons, on le voit bien aussi, ni d’atténuer ni de dissimuler le déplorable bilan de cette quinzaine ; il vaut mieux, en pareille extrémité, confesser nettement sa misère : c’est la seule voie qui mène à prendre un parti sérieux. Il était encore permis d’espérer, il y a quinze jours, que la majorité subsistait ; il était du devoir de prêcher cette espérance : il n’appartenait qu’à M. de Girardin d’annoncer que la majorité s’allait au contraire dissoudre, et d’encourager les divisions publiques ou les lâchetés intimes en leur prédisant d’avance l’excuse d’un succès si funeste. M. de Girardin avait trop grandement raison. La majorité, qui subsistait il y a quinze jours, s’est hier définitivement démantelée : il n’y a plus de majorité, puisqu’il n’y a qu’une majorité d’une seule voix sur une question aussi vitale que l’organisation du droit de suffrage. Et, qu’on ne s’y trompe pas, cette disparition de la majorité au moment et de la manière dont elle s’accomplit, ce n’est pas une mésaventure ordinaire, ce n’est pas un accident qui se puisse réparer pour peu qu’on s’en mêle, un accroc, si l’on ose ainsi parler, dans l’existence de l’assemblée ; c’est un abîme qui s’ouvre, un abime où l’assemblée elle-même, la seconde assemblée de la seconde république française peut s’enfoncer tout entière en compagnie de cette majorité qui a disparu. Qu’on ne s’y trompe pas non plus d’autre part : si le pouvoir législatif coule bas à l’heure qu’il est, le pouvoir exécutif, sous lequel il semblera succomber, n’aura jamais couru de risque plus effrayant. Deux vaisseaux sont aux prises sur les eaux profondes de l’océan ; l’instant suprême, la minute de vie ou de mort pour le vainqueur, c’est souvent quand le vaincu saute ou sombre ; le gouffre qui engloutit le vaincu attire en quelque sorte et plus d’une fois dévore dans son tourbillon l’ennemi triomphant. Nous ne voudrions point pousser à bout la comparaison qui vient sous notre plume ; nous ne pouvons cependant nous empêcher de voir un péril incalculable pour le pouvoir exécutif dans ce vide immense et subit que l’assemblée laisserait après elle en s’évanouissant. Le pouvoir exécutif y pourrait bien tomber au moment même où ses flatteurs lui chanteraient victoire de leur voix la plus enthousiaste.

Cette dissolution de la majorité parlementaire, c’est pourtant bien en effet la victoire du pouvoir exécutif sur le parlement. Il ne servirait à rien de pal-