Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le saint Ben-el-Abhas, — Dieu l’ait pour agréable, — a dit aussi : « Aimez les chevaux, soignez-les; ne ménagez point vos peines; par eux l’honneur et par eux la beauté. Si les chevaux sont abandonnés des hommes, je les fais entrer dans ma famille, je partage avec eux le pain de mes enfans; mes femmes les vêtent de leurs voiles, et se couvrent de leurs couvertures. Je les mène chaque jour sur le champ des aventures; emporté par leur course impétueuse, je combats les plus vaillans. « 

J’ai fini la lettre que noire frère et compagnon, l’ami de tous, le commandant Sid-Bou-Senna, doit vous faire parvenir. — Salut[1]. »


On connaît maintenant les qualités que les Arabes cherchent à développer dans le cheval de guerre. Pour l’homme du désert, le cheval n’est ni un jouet, ni un objet de luxe coûteux et fragile. C’est un utile instrument, un indispensable compagnon dans cette vie de mouvement, de lutte et d’aventures qu’il aime, parce qu’elle est indépendante, bénie de Dieu et loin des sultans. Qu’est-ce donc que cette vie pour laquelle il faut des chevaux façonnés exprès par un si rude apprentissage? Quels en sont les principaux incidens, les actes essentiels? Ici, nous nous trouvons en pleines mœurs arabes, en présence de nos souvenirs, en présence aussi de toutes les difficultés d’une guerre en Afrique et de toutes les conditions exceptionnelles qu’avec une meilleure application des préceptes arabes à notre cavalerie, il nous serait si aisé de remplir.

Razzia, chasse et guerre, tels sont les trois grands actes de la vie nomade et aussi de la vie militaire en Afrique. Le fait le plus fréquent et presque quotidien de cette vie, c’est la razzia. La gloire est une belle chose sans doute, et à laquelle, dans le Sahara, on a le cœur sensible comme partout ailleurs; mais là on met sa gloire à faire du mal à l’ennemi, à détruire ses ressources, en augmentant les siennes propres. La gloire n’est pas de la fumée, c’est du butin. Le désir de la vengeance est aussi un mobile; mais est-il plus belle vengeance que celle de dépouiller un ennemi et de s’enrichir à ses dépens?

Ce triple besoin de gloire, de vengeance et de butin ne pouvait trouver pour se satisfaire un plus expéditif ni plus efficace procédé que la razzia (incursion), envahissement par la force ou la ruse du lieu occupé par l’ennemi, du dépôt de tout ce qui lui est cher, famille et richesses. Les Arabes distinguent trois espèces de razzia : la tehha (du verbe tahh, tomber, se précipiter), qui se fait au point du jour. Dans une tehha, on n’est pas venu pour piller, on s’est rué pour massacrer; on

  1. Cette lettre a été écrite en entier de la main d’Abd-el-Kader, l’original est en ma possession, et il est certifié par M. le chef d’escadron d’artillerie Boissonnet, qui, depuis trois ans, remplit avec distinction, auprès de l’émir, une mission aussi délicate que difficile. C’est également au commandant Boissonnet que je dois la traduction de ce précieux document.