revengeaient, dit Marillas d’un accent de rancune ; tâche de ne pas l’oublier désormais. Et vous, Goron, ne refusez pas le bonheur de votre fille par mauvaise gloire, et donnez la main à ce brave gars en signe de promesse.
Le marin parut hésiter. Il regarda l’or dispersé sur le lit, puis le grand Luc, qui tournait son bonnet d’un air de ressentiment sournois, enfin Marzou, dont les traits étaient épanouis par l’espérance, et, prenant son parti :
— Au diable le qu’en dira-t-on ! s’écria-t-il. Après tout, je ne connaissais pas Loïs ; c’est un vrai matelot. La Niette et lui peuvent s’arranger, et que la fièvre m’étrangle si je les dérange !
Il avait tendu la main à Marzou, qui la serra avec un cri de joie, puis se retourna vers le Béarnais en se laissant glisser à genoux près du lit. — Ah ! c’est maintenant qu’il faut que vous viviez pour voir les heureux que vous aurez faits ! s’écria-t-il avec un élan de reconnaissance.
Le mourant ne put répondre sur-le-champ. Laissant une de ses mains au traîneur de grèves, qui la couvrait de baisers, il posa l’autre sur sa tête en silence ; deux petites larmes coulaient le long de ses joues plombées. Enfin il fit un effort et murmura : — Que Dieu te bénisse ! mon fils ; grâce à toi, je meurs avec la pensée que quelqu’un m’aimera après ma mort !
Marzou voulut protester contre ce dernier mot et énumérer les chances de salut qui restaient au malade ; mais Luz lui fit signe de se taire et se mit à lui expliquer ses dernières volontés. Il désirait être enterré dans l’île, et demanda que le premier voyage de la barque achetée pour Annette et Marzou fût une visite à sa tombe. Il leur légua le bétail qu’il avait élevé, mais en exigeant la promesse qu’ils ne le livreraient jamais au couteau du boucher ; enfin vinrent les explications relatives à ses affaires. Jusqu’au soir, il s’occupa ainsi de tout régler, s’interrompant de loin en loin pour tomber dans une courte somnolence ; vers le milieu de la nuit, son agonie commença, et il mourut aux premières lueurs de l’aube, la tête appuyée sur l’épaule de Louis.
Tous ses vœux furent accomplis. La Niette et le traîneur de grèves, heureusement mariés grâce à lui, vinrent tous les ans, à l’anniversaire de sa mort, prier à la place où il reposait, jusqu’à ce que la construction du fort élevé au milieu de l’île eut nécessité le transport des restes de Luz Marillas au cimetière de Piriac, sous une pierre grossièrement gravée, qui indique encore sa sépulture.
EMILE SOUVESTRE.