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Il avait levé lentement la main, et frappa le jeune garçon au visage. Celui-ci chancela ; un jet de sang rougit ses lèvres, mais il ne fit aucun mouvement.

— Quoi ! s’écria le patron, que cette immobilité sembla mettre hors de lui, n’as-tu pas même le courage de te défendre, et faut-il redoubler ?

Un second coup, puis un troisième atteignit Marzou, qui resta toujours impassible. Il s’éleva cette fois une huée parmi les pêcheurs. Les railleries et les injures assaillirent le traîneur de grèves ; sans rien répondre, il essuyait le sang qui lui couvrait le visage.

Dès le premier coup porté par le patron, Iaumic s’était élancé au secours de son frère une pierre dans chaque main ; mais, en voyant qu’il n’essayait aucune défense, il était resté à quelques pas, stupéfait et presque indigné. Quant à Goron, arrêté malgré lui par l’attitude passive de son adversaire, il en revenait à des menaces, lorsqu’il fut interrompu par des cris au milieu desquels retentissaient son nom et celui de Lubert. Il se retourna, et aperçut plusieurs habitans du bourg qui accouraient en montrant la mer.

— Eh bien ! qu’ont-ils donc à héler ainsi ? demanda gros Pierre.

— Là-bas ! voyez, à l’île du Met ! répondirent les voix.

— À l’île du Met ? Après ? qu’y a-t-il ?

— Le pavillon de détresse !

Tous les yeux se fixèrent sur le point indiqué, et l’on aperçut en effet le drapeau qui flottait éclairé par un rayon de soleil.

— Le diable me brûle si ce n’est un signe de malheur ! fit observer gros Pierre, car le Béarnais n’arbore pas son chiffon pour peu de chose.

— D’autant qu’au dernier voyage, quand nous avons ramené le bétail de l’île, il grelotait la fièvre, ajouta un paysan.

— Alors qui donc ira à son aide ? demanda une femme.

— C’est affaire aux patrons de l’île, répondit gros Pierre.

Tout le monde regarda Goron et Lubert ; mais le premier, qui examinait la mer depuis un instant, haussa les épaules.

— Les patrons de l’île ne sont pas des marsouins, répondit-il brusquement ; que les marins, s’il y en a ici, regardent devant eux.

Les flots avaient en effet, dans ce moment, un aspect redoutable et sinistre. Labourés par un vent de nord-ouest qui grandissait de minute en minute, ils s’entr’ouvraient en sombres sillons au sommet desquels courait une écume à reflets verdâtres. Une rumeur profonde, venant du large, grondait le long des côtes comme un lugubre avertissement. À l’horizon, quelques traînées lumineuses perçaient encore les nuages ; mais partout ailleurs le ciel touchait les eaux.

— Pour dire la vérité, le temps a une mauvaise figure, répondit gros Pierre ; tout à l’heure le feu va être à la mer, et ceux qui sortiront du