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cette chaleur de foi que donne l’heure suprême ; faisons notre dernière prière avec ceux que nous ne reverrons plus.

Et, les genoux appuyés sur la pierre humide, le traîneur de grèves commença à haute voix cette oraison sublime et populaire, devenue la profession de foi de la chrétienté. Au milieu des rugissemens toujours plus furieux de la mer, les simples paroles du Credo s’élevaient comme une protestation de la créature qui oppose sa foi aux violences de la création. Marzou en était à l’attestation de sa croyance à l’arbitre souverain qui doit venir juger les vivans et les morts, lorsque son nom crié au milieu des hurlemens de la houle l’interrompit.

— Quelle est cette voix ? murmura Annette, qui, toute à l’exaltation du moment, avait cru entendre un appel surhumain.

Une ombre intercepta la lumière qui leur arrivait par l’étroite ouverture placée au-dessus de leur tête.

— Jésus ! ils y sont tous deux ! dit la voix.

Iaumic ! s’écrièrent-ils en même temps.

— À nous ! du secours ! reprit Annette, subitement ramenée à l’espérance.

— Impossible ! murmura Loïs ; nous sommes perdus !

— C’est à savoir, dit précipitamment Iaumic ; tout à l’heure le gros Pierre était avec sa barque à Penhareng.

— À Penhareng ?

— Au nom du bon Dieu ! tenez ferme, je vais l’amener.

L’enfant avait disparu comme l’éclair ; la jeune fille, reprise à la vie, retrouva toutes ses angoisses.

— Dieu ! si la barque… arrivait trop tard ! bégaya-t-elle.

Et, sentant le flot atteindre ses pieds :

— Voyez, voyez, Loïs, comme la mer gagne ! Oh ! vous aviez raison, pauvre ami, tout sera inutile ; nous devons mourir ici.

— Il ne faut pas long-temps pour venir de Penhareng, fit observer le traîneur de grèves avec hésitation.

— Alors, vous croyez qu’ils nous sauveront ? reprit Annette, qui se précipita sur cet espoir avec l’acharnement crédule de la peur : oh ! si vous le dites, c’est la vérité, Loïs, car vous connaissez la grève mieux que pas un du pays. Regardez, regardez ; n’est-ce pas la voile de la chaloupe du gros Pierre qui paraît là-bas ?

Elle montrait un point blanc qui s’avançait du côté de la mer en se dirigeant vers l’entrée de la grotte. Marzou secoua la tête, et, s’affermissant sur le rocher, il serra plus fortement la jeune fille contre lui. Le point blanc se rapprocha rapidement ; il s’élançait en avant comme un cheval de course, et Annette poussa un cri en reconnaissant une vague monstrueuse qui dominait toutes les autres. La vague arriva à l’arcade, la franchit avec un rugissement, et s’élança dans la caverne