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— Voyez monter la mer, dit-il en montrant la vague, qui commençait déjà à envahir la grotte ; quand j’aurais les ailes d’un goëland, tout serait fini pour vous avant mon retour.

— Est-ce vrai ? bégaya Annette, qui pleura d’épouvante ; alors je suis perdue, vous dites ? perdue sans merci ! Oh ! c’est impossible. Mon Dieu ! mon Dieu ! vous ne serez pas sans miséricorde. Sauvez-moi, vierge Marie ! Saints anges gardiens, sauvez-moi !

Elle élevait au ciel ses mains tordues de désespoir ; mais tout à coup l’amour surmonta l’égoïsme de la peur, et se reprenant elle-même : — Non ! s’écria-t-elle, je suis folle ; ne m’écoutez pas, mon Dieu ! c’est Loïs qui doit échapper ; moi, vous me prendrez, puisqu’il le faut. — Sauvez-vous, Loïs, je le veux, entendez-vous bien ? je vous en prie. Oh ! par pitié, par pitié, ôtez-moi l’affre de votre mort. Si vous êtes là, je sens que je n’aurai pas de courage ; je ne pourrai jamais pardonner à Dieu ! Loïs, laissez-moi mourir seule, au nom de mon salut éternel !

Dans ce moment, une vague surmonta le récif qui défendait l’entrée de la grotte, se dressa contre la jeune fille et l’enveloppa. Marzou n’eut que le temps de la saisir pour l’arracher au flot qui l’enlevait, et de la transporter dans la seconde enceinte : là, le sol un peu plus élevé se trouvait encore à l’abri de la mer, et vers le fond s’avançait un pan de roche qui se rattachait à la voute par un plan incliné. Le traineur de grèves' le gravit avec peine et déposa Annette sur l’aspérité la plus élevée. Placée là, à quelques pieds de la fente par laquelle la grotte était éclairée, elle se ranima à la clarté stellaire qui glissait par l’étroite ouverture et au souffle que lui apportaient du dehors les senteurs de la mer.

Cependant l’assaut des vagues devenait à chaque instant plus acharné ; on les voyait apparaître à droite et à gauche au milieu de l’obscurité de la caverne marine, grandir jusqu’au sommet des voûtes, puis s’écrouler avec un fracas formidable. Le cercle de mort allait se rétrécissant de minute en minute autour du traîneur de grèves et de la jeune fille. Étourdis déjà par les terribles retentissemens qu’éveillait le flot sous ces cavités sonores et respirant avec peine au milieu de la poussière humide, il leur semblait sentir tout chanceler. Trop sûrs de ne pouvoir désormais échapper, ils se tenaient pressés l’un contre l’autre en silence, comme si tous deux avaient perdu le pouvoir et surtout la volonté de penser.

Tout à coup un son affaibli par la distance glissa à travers la fente du rocher : c’était la cloche de Piriac appelant les fidèles à la prière du soir. Cette voix familière et inattendue produisit une secousse dans ces deux cœurs engourdis, et, comme s’ils se fussent entendus dans un commun élan, Marzou se découvrit, tandis qu’Annette joignait les mains. — C’est Dieu qui nous appelle et qui nous console, dit Loïs avec