Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chercher quelque expédient salutaire, ils s’oubliaient à construire mille châteaux en Espagne, auxquels chaque désir apportait une pierre. C’était d’abord le changement de Goron, son consentement à leur mariage, puis tous les chapitres de ce roman d’un jeune ménage, si doux à épeler d’avance. Transportés au milieu de leurs chimères, tous deux en avaient fait peu à peu des réalités. Le traîneur de grèves surtout, à qui une vie solitaire et des aspirations toujours refoulées avaient rendu plus familières les duperies du cœur, s’y laissait bercer sans résistance, tandis que la jeune fille écoutait demi-émerveillée et demi-incrédule, à la manière d’un enfant que l’on endort avec des contes de fées. Enfin pourtant elle sembla s’éveiller, et regarda autour d’elle. Lorsqu’elle aperçut à travers l’arche d’entrée le ciel obscur dans lequel commençaient à scintiller quelques étoiles, elle se releva avec une exclamation de désappointement.

— Jésus ! vous m’avez fait oublier l’heure, Loïs, s’écria-t-elle ; la nuit est close, et j’aurais dû partir depuis long-temps. Que diront-ils au bourg, quand ils me verront rentrer si tard avec la Rougeaude ?

— Ils ne vous verront pas, Niette, dit Marzou ; mais, au nom du Sauveur ! ne partez pas sans m’avoir redit que vous me garderez toujours votre amitié.

— Taisez-vous, méchant homme ! dit la jeune fille en souriant ; vous savez bien que cela ne dépend plus de ma volonté.

— Alors tout est dit, ma chère créature ! s’écria Loïs en la serrant dans ses bras, et rien ne fera contre nos intentions, car ce qu’on veut plus que tout ne reste pas long-temps impossible. Aussi vrai que je vous aime, ni votre père, ni le grand Luc, ni le bon Dieu lui-même, ne pourront empêcher notre bonheur !

Ici, un clapotement sourd, qui avait déjà frappé l’oreille de la jeune fille, lui fit tourner la tête.

— Entendez-vous ? dit-elle ; le temps s’est passé, la marée monte : si vous me retenez, je ne pourrai plus arriver au sentier de la côte.

— Ne craignez rien, répliqua Marzou toujours plus enivré, le flot est encore loin.

— Voyez là-bas, dans la nuit, quelque chose qui blanchit.

— C’est le sable des grèves.

— Je sens comme la rosée des lames.

— C’est la brume du soir.

En parlant ainsi, ils s’avançaient tous deux, les bras enlacés, vers l’entrée de la caverne ; mais, au moment de la franchir, Annette poussa un cri.

— Qu’y a-t-il ? demanda Loïs, dont le regard ne pouvait la quitter. Elle ne répondit pas, mais ses deux mains s’étendirent en avant, et Marzou, qui avait suivi le geste, recula épouvanté.