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dirigeant vers Piriac. Dès qu’il eut disparu, Annette s’assura que personne ne pouvait la voir, et se glissa dans la ravine qui descendait à la mer. La petite grève, qu’elle atteignit bientôt, était entrecoupée de flaques d’eau, au milieu desquelles s’élevait une chaussée naturelle de granit recouverte d’algues fauves. Les algues amortirent le bruit des pas de la jeune fille, qui atteignit la grotte sans que rien eût pu trahir son approche.

Le sommet du roc dans lequel les flots l’avaient creusée ne tenait à la falaise que par quelques fragmens déchirés ; mais sa base s’enfonçait assez avant dans le promontoire. La caverne était formée de deux compartimens réunis par une arcade allongée, et avait une double sortie sur deux grèves que séparait une muraille de récifs. Sur ses parois d’un schiste sombre couraient des traînées ferrugineuses et quelques veines de quartz blanc. Dans la première enceinte, une fente qui entr’ouvrait la voûte laissait glisser comme une lueur fantastique le dernier rayon du jour. Ce rayon tombait sur le front du traineur de grèves, alors couché sur le sable humide de la grotte et la tête appuyée contre une saillie du rocher. À l’exclamation que poussa Annette, il se redressa brusquement.

— Vous ici ! s’écria-t-il stupéfait ; est-ce bien possible, et que venez-vous chercher ?

Puis, distinguant le visage troublé de la jeune fille. il ajouta :

— Au nom de Dieu ! serait-il arrivé quelque malheur, pour que vous soyez si tard dans les grandes roches ?

— Dites d’abord pourquoi vous y restez vous-même ! reprit Annette, qui le regardait fixement. D’habitude, quand vous venez au Castelli, c’est pour tendre vos lignes, et non pour dormir dans les grottes.

— Aussi je ne dormais pas, Niette, dit le jeune homme tristement.

— Que faisiez-vous alors ?

— Je pensais à ce que nous avions dit tout à l’heure chez vous, chère fille. Tant que je vous vois, il n’y a rien de triste ; mais, resté seul, j’ai réfléchi, et, en pensant combien il y avait peu d’espérance pour moi, le chagrin m’a pris, mes forces s’en sont allées ; je me suis couché là, sans courage, comme un malheureux qui n’a plus de goût à rien.

— Que Dieu nous protège ! Est-ce là ce que vous m’aviez promis. Loïs ? reprit Annette très émue ; n’êtes-vous donc plus un homme ? Un peu de raison, mon pauvre ami ; ni vous ni moi ne sommes au bout de l’épreuve.

— Ah ! vous venez m’annoncer un malheur ! s’écria Marzou.

— Raison de plus pour avoir l’ame vaillante, dit la paysanne.

— Mais qu’y a-t-il enfin, qu’y a-t-il ?

— Il y a que mon père soupçonne quelque chose entre nous, que le grand Luc et lui sont comme des furieux, et qu’ils vous cherchent.