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La jeune fille, ne trouvant rien à répondre, parut très attentive à débrouiller son fil, qu’elle se mit à mordiller de ses petites dents nacrées. Marzou profita de ce silence pour s’asseoir sur un escabeau placé à ses pieds, et y resta quelques instans dans une sorte de contemplation. Niette en parut embarrassée, et, afin de l’interrompre, elle demanda à Marzou où allait son petit frère Iaumic, qu’elle venait de voir passer sur la route. Le traîneur de grèves répondit qu’il l’avait envoyé à Lérat pour savoir si quelque barque ne devait pas pêcher le lendemain dans les eaux de l’île du Met. — J’ai l’esprit tourmenté de maître Luz, ajouta-t-il ; nous l’avons laissé l’autre jour bien malade, et je crains un malheur.

— N’ayez donc pas des idées pareilles, Loïs, dit la jeune fille ; si le Béarnais s’était senti en danger, n’aurait-il pas hissé à son mât le pavillon de détresse ?

— Je n’en sais rien, répondit Marzou ; quand nous sommes partis, il avait le cœur outré, rapport à son cobriau, et maître Luz n’est pas un homme qui ressemble à tout le monde. La mort le gênerait moins, voyez-vous, que de demander un service à qui lui déplaît. S’il a pris les gens de la grande terre en trop sérieuse déplaisance, il est capable de se laisser mourir là-bas sans rien dire, comme un loup blessé au fond du taillis ; et, pour ma part, je ne pourrais jamais m’en consoler, car aucun autre homme ne m’a montré autant de bon cœur : c’est quasiment un frère pour moi, Niette, et l’autre jour encore il me l’a bien prouvé.

— Comment cela ? demanda la jeune fille.

— En m’offrant, pour Iaumic et pour moi, une place dans sa cabane avec une part de ses profits.

— Et vous avez refusé ?

— On dirait que ça vous étonne, Niette, dit le traîneur de grèves, qui la regarda en face.

Elle rougit beaucoup et baissa les yeux.

— Chacun se conduit selon sa sagesse et sa volonté, répliqua-t-elle en affectant de filer plus vite.

— Ma volonté ! répéta Marzou ; croyez-vous donc qu’elle soit de quitter le bourg quand vous y restez ? Au nom du bon Dieu, ne me dites pas de ces choses-là, Niette ; vous savez bien que si mon intérêt se trouve là-bas, mon bonheur sera toujours ici.

Et comme il vit qu’elle allait l’interrompre :

— N’ayez cure que je vous reparle de mon amitié, ajouta-t-il précipitamment. J’ai dit l’autre jour tout ce que j’avais gardé en moi et qui m’étouffait. Vous m’avez répondu, maintenant je puis me taire et attendre un meilleur temps ; mais, si vous voulez que je ne perde pas mon courage, ne parlez jamais comme si nous ne nous étions rien l’un à l’autre ; jamais, Niette, entendez-vous !