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la probité compatible avec une ame faible, un caractère timide, un esprit subtil. Un Écossais et un légiste pouvait difficilement se recommander par ces doctrines politiques, chères aux amis de la liberté. « Par principe, Murray est un tyran, » disait Walpole. Il resta du moins fidèle aux principes de la loi anglaise, autant que le lui permit cette flexibilité sophistique que de grandes intelligences contractent quelquefois dans la pratique exclusive de la jurisprudence.

Mais Junius ne s’arrête pas à ces distinctions équitables : il n’y a pas de nuance pour lui ; il frappe sans mesure. Chez les adversaires qu’il se donne, tout est trahison, tout est bassesse, tout est infamie. Il n’épargne aucun de ces mots à lord Mansfield, et son aversion pour lui se complique encore de sa haine pour les Écossais. Dans sa bouche, comme dans la langue des préjugés du temps, le nom d’Écossais est une injure, et il le jette à la face de William Murray avec autant de certitude de l’en accabler que lorsqu’il outrage du même nom lord Bute, ou rappelle au duc de Grafton qu’il vient des Stuarts et que les Stuarts viennent d’Écosse. Sa polémique contre le premier juge de la Cour du banc du roi remplit une bonne part du reste de la collection de ses lettres, et elle est intéressante, quoiqu’elle abonde en discussions un peu techniques sur des points de droit et sur des procédés judiciaires. Dans ces matières, les jurisconsultes, et parmi eux lord Brougham et lord Campbell, ont pu contester l’exacte compétence et la sûreté d’érudition de Junius ; mais il est impossible de méconnaître la clarté, la flexibilité et la force de son argumentation.

Il deviendrait fastidieux d’énumérer les autres questions qu’il touche en passant et ses retours offensifs contre le duc de Grafton, qui, après un intervalle de quinze mois, rentra dans le ministère de lord North avec le titre de lord du sceau privé (juin 1771), et qui fut aussitôt salué par une lettre virulente que Junius avoue avoir travaillée avec le plus grand soin. « Si je me suis trompé dans mon jugement sur ce papier, dit-il, je n’écrirai plus. » Il écrivit encore, et fut surtout occupé des divisions qui s’élevèrent bientôt dans la Cité, et qui affaiblirent sensiblement l’opposition. Wilkes avait été élu alderman, puis sheriff ; il aspirait à devenir lord-maire. Sa popularité qui faisait des jaloux, son caractère qui faisait des mécontens, ou son manque radical de considération qui compromettait son influence, lui suscitèrent d’orageuses résistances. Le célèbre Horne Tooke, qui était républicain (Wilkes ne l’était pas), rompit avec lui, et lui fit la guerre. Un alderman très estimé, John Sawbridge, membre distingué du parlement et qui passait aussi pour républicain, quoique fort attaché à lord Chatham, avait ses amis, son parti, son ambition. Une société s’était formée sous le nom de société des défenseurs du bill des droits ; elle eut ses imprudences et ses divisions. Les pétitions pour la dissolution de