satisfaire l’opinion publique. Ainsi la responsabilité de tous les pouvoirs retombait sur sa tête. William Beckford, un grand ami de lord Chatham, puissant dans la ville par son immense fortune, par l’indépendance de son caractère et de ses opinions, était lord-maire et se servait hardiment de son influence pour entretenir, pour attiser le feu de la guerre entre le pouvoir et l’opinion. La cité de Londres, celle de Westminster, le comté de Middlesex, avaient demandé au roi la dissolution du parlement, en se fondant sur l’expulsion de Wilkes par la chambre des communes. Leurs pétitions n’avaient pas été gracieusement reçues. Sur la proposition de Beckford, une remontrance fut délibérée par le conseil communal de la Cité, et, comme le droit de cette puissante corporation était de communiquer directement avec la personne royale, les sheriffs de Londres, après quelques difficultés, furent introduits devant le monarque et lui remirent cette humble adresse, où son devoir lui était dicté en termes très nets, et que le roi, dans sa réponse, qualifia d’irrespectueuse pour lui, d’injurieuse pour son parlement, d’inconciliable avec les principes de la constitution (14 mars 1770). Cette réponse ne fit que provoquer une nouvelle adresse, qui fut reçue de semblable manière (23 mai), et le lord-maire fit de vive voix au roi lui-même une réplique célèbre qu’on peut lire encore à Guildhall, gravée au-dessous de la statue érigée aux frais de la Cité en l’honneur de Beckford, qui mourut peu de temps après. D’autres villes, d’autres corporations imitèrent ces manifestations. Au-dessus même de la clameur populaire, la grande voix de Chatham se faisait entendre : il prenait sous sa protection les droits des électeurs, ceux de l’élu, ceux de la Cité ; il criait à la constitution violée, au favoritisme triomphant ; il prononçait ces fameuses paroles : « Je vois derrière le trône quelque chose de plus grand que le roi lui-même. » Le ministère n’avait pu résister à de si fortes épreuves. Lord Camden, resté chancelier en continuant de professer les principes de Chatham, n’avait pas craint de condamner, assis sur les sacs de laine de la chambre des lords, les procédés de celle des communes comme arbitraires et tyranniques, et d’engager un débat sur ce point avec lord Mansfield, son adversaire en politique et son rival en doctrine, l’habile et flexible jurisconsulte de la couronne. Le grand sceau avait été enlevé à lord Camden ; mais son héritage parut, dans ces orageuses circonstances, si difficile à prendre, que Charles Yorke, après l’avoir un moment accepté, se tua de désespoir. Le grand sceau fut provisoirement confié à trois commissaires. La retraite du populaire lord Granby suivit de près celle de lord Camden. Ce dernier coup acheva de porter le trouble dans l’ame mobile du duc de Grafton. Au milieu de ses anxiétés politiques, les attaques de Junius le jetaient dans une sorte de désespoir. La situation devenait évidemment trop forte pour lui, et il prit la subite résolution de se
Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/900
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.