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honorable de l’armée. Ses coups portèrent assez juste pour amener sur le terrain les amis du ministre des colonies, lord Hillsborough, et l’agresseur, lui attribuant les réponses de ses défenseurs, lui adressa ses répliques à lui-même et le combattit directement. C’est déjà la manière favorite de Junius.

Cependant le parlement atteignait son terme (mars 1768). Une élection générale approchait, lorsque Wilkes, qui ne pouvait plus supporter en France le fardeau de ses dettes, et qui n’avait plus rien à dépenser que sa popularité dans son pays, reparut dans les rues de Londres, au milieu des marques bruyantes de la faveur publique. Il venait se présenter aux suffrages de ses concitoyens. Il échoua dans la Cité, bien qu’il réunît 1247 voix ; mais à Brentford il triompha à une grande majorité dans l’élection du comté. Une émeute de joie célébra sa victoire.

Fort de ce premier succès, il alla devant la Cour du banc du roi, pour se faire relever du jugement de contumace qui pesait sur lui et obtenir l’annulation de l’acte qui le mettait hors la loi. Sa requête n’étant pas admise, on le conduisait en prison, lorsque la multitude, dételant ses chevaux, brisant sa voiture, l’emmena triomphant à travers la Cité jusque dans une maison de Spitalfields. Le soir, quand tout parut calmé, il se rendit lui-même à la geôle ; mais le lendemain ce fut un soulèvement général dans la ville. Il fallut envoyer des gardes à cheval pour défendre la prison, et, pendant quinze jours, de tumultueux rassemblemens entretinrent un désordre qui semblait un commencement de guerre civile. Le 10 mai, jour de l’ouverture du nouveau parlement, le peuple se répandit dans les rues, annonçant qu’il délivrerait le prisonnier et le conduirait de force à Westminster. La collision était inévitable ; on fit marcher des régimens écossais dont la présence et, disait-on, l’acharnement irritaient encore la populace. Un jeune homme inoffensif fut tué par un soldat, et son cadavre porté de rue en rue pour exciter la fureur publique. Le combat s’engagea, le feu des troupes fut assez meurtrier, et, quoique la nécessité de la défense justifiât l’emploi des armes de guerre, comme le peuple n’en avait pas, il appela cet engagement le massacre de Saint-George’s-Fields. Le parlement opposa à l’irritation populaire des adresses de loyauté, offrit son concours pour toutes les mesures nécessaires au rétablissement de l’ordre, rendit hommage aux magistrats qui l’avaient détendu, et lord Barrington, secrétaire de la guerre, adressa par écrit des remercîmens publics aux troupes qui avaient rempli le cruel devoir d’une répression sanglante. En même temps, la Cour du banc du roi releva Wilkes des incapacités qui résultaient de sa position de contumace, mais prononça contre lui une amende de 1,000 livres et un emprisonnement de vingt-deux mois, tant pour son journal que pour