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assez d’effet pour être imputé à Edmond Burke, qui, déjà connu par d’importans ouvrages, avait depuis un an débuté au parlement avec éclat. Un correspondant du journal riposta par une autre scène où il introduisait Burke lui-même offrant lâchement au ministère de trahir pour lui l’opposition. De là une réplique anonyme, où notre auteur, sans défendre précisément Burke (ce n’est guère son goût que de louer ni de défendre personne), réfute son contradicteur, maintient sa version, offre de prouver que Townshend est parti sans instructions, et montre cette certitude de son fait qui ne semble permise qu’aux gens bien informés et appelés par leur position sociale à puiser à la source même les nouvelles du monde politique. Ce qui est remarquable, c’est que moins de deux mois après, un correspondant, sous les initiales Y. Z., et qui est considéré par l’éditeur comme le même écrivain autrement désigné, adresse au journal un discours prononcé par Burke dans la chambre des communes, et dont le public parlait sans le connaître. Il faut savoir qu’à cette époque le parlement prenait à la lettre ce qu’on appelle les ordres permanens des deux chambres. Ces standing orders interdisent la présence des étrangers, et par conséquent toute publication des débats est à la rigueur une violation de privilège. Aussi n’était-il pas permis, en 1767, de rendre compte dans les journaux des discussions parlementaires. Lorsqu’on se hasardait à publier un discours prononcé dans ces assemblées toujours censées en comité secret, il fallait supprimer les noms propres, effacer tout ce qui désignait expressément l’auditoire, feindre le récit de quelque débat imaginaire où l’on aurait débité des harangues comme on en fait en rhétorique ou dans les conférences d’avocats. Le discours attribué ici à Burke fut bien prononcé à l’ouverture de la session de novembre 1767, du moins Almon l’a-t-il publié dans son recueil avec la restitution de certaines lacunes que la prudence avait prescrites au premier éditeur. Maintenant cette communication révélerait-elle que l’anonyme fût Burke lui-même ? Elle indiquerait tout au plus qu’il était membre du parlement. Les discours de ce temps que nous avons encore ont été pour la plupart conservés, non par leurs auteurs, mais par des auditeurs attentifs qui prenaient des notes en écoutant et saisissaient les paroles au vol. C’est ainsi généralement que les précieux fragmens de l’éloquence de Chatham sont parvenus à la postérité. D’ailleurs, pour beaucoup de raisons, Burke n’est pas Junius ; mais on les mettait tous deux au premier rang des écrivains, et il était tentant de les confondre.

Des affaires qui occupèrent à cette époque le gouvernement anglais, la plus difficile et la plus importante était assurément l’affaire d’Amérique. On a vu que l’acte du timbre avait excité de vifs mécontentemens de l’autre côté de l’Atlantique et provoqué des actes de