preuves qui seront appréciées plus tard, mais que tous les critiques ont admises. En effet, pour ne parler que des lettres de Poplicola, on doit remarquer que Junius, malgré quelques rapports d’opinion, ne ressentait aucune bienveillance pour lord Chatham. Il attaqua long-temps celui qu’il appelle l’idole, et, quand il cessa de l’attaquer, il persista long-temps à se taire sur son compte. Ce n’est que vers sa cinquante-quatrième lettre, c’est-à-dire en 1771, qu’il commença à se relâcher de sa sévérité à l’égard du grand homme d’état, qui cependant alors avait, depuis près de trois ans, quitté le pouvoir.
L’écrivain qui, selon Woodfall, préludait aux lettres de Junius, chercha quelque temps sa forme, sa manière, son talent. S’il n’eût donné que les lettres diverses de ton, de sujet et de signature que son éditeur lui attribue, il n’eût pas mérité d’être distingué parmi les autres correspondans du journal. Ce sont bien les opinions de Junius, c’est bien cette partialité aveugle qui ne choisit pas toujours heureusement ses griefs, cette malveillance ardente qui cherche encore plus à s’épancher qu’à réussir et qui sait moins nuire qu’offenser. On retrouve les mêmes inimitiés, une opposition sans système, une incohérence de principes qui fait de Junius un mortel ennemi du pouvoir, sans qu’il soit ni radical, ni républicain, ni démocrate ; mais le talent n’est pas mûr, et le style n’est point formé. Le style a moins de caractère, il est moins soutenu, moins travaillé ; il ne conserve pas cette gravité animée, ce mélange d’autorité et de passion, d’art et de véhémence qui distingue Junius, toujours un peu déclamateur, même lorsqu’il est éloquent. La satire, la fiction, la parodie, la moquerie qui essaie d’être légère, sont des moyens d’effet que l’écrivain ne s’interdit pas et que Junius dédaigne, et l’on pourrait douter de l’identité, si l’éditeur, qui en savait peut-être plus qu’il n’en dit, ne l’affirmait pas. Aux analogies que nous venons d’admettre, il ajoute d’autres preuves. L’initiale C fut constamment employée dans les lettres d’envoi ; les articles lui parvenaient tous par des voies analogues ; enfin ils paraissaient de la même écriture, et les fac-similé qu’il a imprimés ne laissent en effet apercevoir que d’insignifiantes différences.
Quoi qu’il en soit, sous les noms empruntés de Poplicola, de Messala, de Mnemon, d’Atticus, de Vindex, de Domitien, etc., un même auteur semble avoir adressé cent treize lettres, que nous nous garderons d’analyser toutes, et dont les soixante ; dernières parurent entremêlées à celles de Junius. Parmi les cinquante-trois premières, nous en distinguerons quelques-unes, qui offrent un mérite ou un intérêt particulier, soit par le talent quelles attestent, soit par les faits auxquels elles se rapportent.
En 1767, lord Townshend, frère du chancelier de l’échiquier, avait été nommé lord-lieutenant d’Irlande. Il paraît qu’il dessinait bien et