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William Draper, un officier instruit et spirituel qui s’était distingué par la conquête de Manille, et qui était, comme presque tous les gens de guerre, attaché à lord Chatham, répondit par une apologie de cet homme d’état, et surtout par une forte récrimination contre le caractère et la conduite de l’agresseur. Cette nouvelle lettre provoqua la première publication politique attribuée à l’écrivain qui devait rendre plus tard si célèbre le pseudonyme de Junius.


IV.

Ainsi qu’il a été dit et suivant un usage conservé par les journaux anglais, M. Woodfall ouvrait les colonnes du Public Advertiser à des correspondans inconnus du lecteur et souvent de lui-même, qui, sous un nom emprunté, soutenaient ou suscitaient une libre polémique, souvent contraire aux opinions plus habituellement défendues dans ce journal. L’éditeur communiquait avec eux par le journal même, et leur adressait des réponses mystérieuses, telles que celles que l’on peut lire aujourd’hui à la dernière feuille de l’Illustration. Au mois d’avril 1767, un de ces rédacteurs bénévoles et ignorés adressa, par un billet d’envoi signé de l’initiale C, une lettre souscrite du pseudonyme Poplicola. Cette composition un peu déclamatoire roulait sur cette idée que si les nations les plus libres avaient supporté la dictature, c’était lorsqu’une situation extraordinaire, telle qu’une guerre étrangère, en imposait la nécessité, mais qu’en pleine paix, en temps régulier, la dictature n’était plus qu’une tyrannie sans motif et sans terme. Or l’Angleterre était tranquille, et le dictateur était William Pitt. Cette lettre exprimait en langage classique, exagéré et banal, la plainte fondée qu’aurait pu provoquer, non la dictature réelle, mais l’ascendant singulier de lord Chatham, qui était devenu un obstacle à tout sans presque contribuer à rien, et qui, rendant à la fois le gouvernement possible par sa présence et faible par son inaction, demeurait l’arbitre des questions sans les résoudre, et le maître des affaires sans les conduire. Aussitôt parut dans le même journal une nouvelle apologie parce même sir William Draper, dont nous avons déjà parlé, et Poplicola, prenant la querelle à son compte, écrivit, le 28 mai, une nouvelle lettre où, sans négliger de dire qu’il ne se chargeait pas de défendre M. Wilkes, il établit que les services de M. Pitt ne pouvaient pas profiter à l’administration de lord Chatham, et qu’au contraire la gloire du dernier devait tournera la honte du second. Ces deux lettres ont été réimprimées, ainsi que beaucoup d’autres revêtues de signatures différentes, dans le recueil des lettres de Junius, publié en 1813 par le fils de Woodfall. Il paraît que ce dernier les avait toujours attribuées toutes au même auteur, fondant sa conviction sur diverses