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II.

Si l’on demandait quelle est la plus glorieuse administration que le gouvernement représentatif ait produite en Angleterre, et par conséquent en aucun pays, il faudrait, je crois, répondre : Le premier ministère du premier Pitt, de ce cruel et noble ennemi de la France, de cet homme qui, par le patriotisme et l’ambition, par la hardiesse et l’éloquence, par l’union de la sagacité politique avec les emportemens de l’orgueil, par l’autorité du caractère et la véhémence des passions, rappelle, à beaucoup d’égards, les hommes d’état de l’ancienne Rome. En 1761, après avoir soutenu ou plutôt relevé avec un succès mémorable la guerre de sept ans, lorsque, prêt à frapper les derniers coups et à étouffer dans leur germe les conséquences du pacte de famille, il abandonna le pouvoir à des collègues incapables de l’imiter et de donner, par un suprême effort, à la paix prochaine tout l’éclat que lui permettait la victoire, jamais popularité n’avait été plus brillante et plus juste que la sienne. Et cette paix, qu’il n’eût point faite, ce fut pourtant la paix de Paris, une des plus tristes pages de notre histoire !

Lord Bute était de fait premier ministre ; il devait tout à la cour ; il était le favori du roi, et peut-être mieux que favori de la princesse de Galles, mère du roi. Le jeune George III, en parvenant au trône il n’y avait guère plus d’un an, s’était peu préoccupé de la politique générale de l’Angleterre. Une seule pensée qui se retrouve à tous les momens de sa vie le dominait, celle de reconquérir le libre choix de ses ministres, à peu près complètement perdu par son prédécesseur. Il avait fait un premier pas décisif dans cette carrière en nommant lord Bute secrétaire d’état ; il voulait le nommer premier lord de la trésorerie. Bute n’était rien dans les deux chambres. Ses talens ne justifiaient pas sa fortune. Quoiqu’il ne manquât ni de jugement ni de conduite, il passa toujours pour un homme médiocre. Modeste dans sa politique et dans ses prétentions, peu attaché au pouvoir, il n’avait presque aucun des vices d’un favori, et il en garda constamment toute l’impopularité. On le jugeait sur son origine, et, par une de ces iniquités communes dans les pays libres, l’opinion s’obstina en tout temps à l’accuser d’une influence toute-puissante, tantôt publique, tantôt occulte, qu’il n’est nullement sûr qu’il ait cherchée ni possédée, et, ce qui est singulier, jusque dans ces derniers temps, l’histoire l’a jugé à peu près comme l’opinion contemporaine. Autre grief étrange qu’il faut imputer tout entier aux préjugés de l’époque, il était Écossais, et la jalousie des Anglais ne le lui pardonna pas. Un Écossais était presqu’à coup sûr un tory, et Bute ne fit pas exception. Le royaume n’était alors uni que de nom (et dans l’union, l’Irlande, on