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doit les perdre, car elle les rendra pessimistes, elle éteindra en eux cette confiance qui est nécessaire pour fonderies institutions, cette confiance qui était alors le sentiment dominant dans la nation, qui est le privilège des esprits non cultivés qui sont en très grande majorité, et qu’il s’agissait de gouverner ; ils étaient trop savans encore une fois et manquaient de l’aptitude nécessaire pour tourner les difficultés, qui n’étaient pas exactement constitutionnelles, connue pour s’accommoder à des circonstances inattendues. Ils avaient compté sans l’imprévu, et lorsque, comme cela était inévitable, l’imprévu se présenta, ils ne surent faire autre chose que murmurer et se récrier contre les événemens d’un ton acre et cassant comme Mounier, verser des larmes comme le trop sensible Lally Tolendal, s’effacer et se taire comme Malouet pour aller porter à Versailles et aux Tuileries de timides conseils, de stériles protestations de dévouement, et se répandre en plaintes inutiles. Ils n’étaient capables de rien détruire, cela est vrai ; mais ils n’étaient capables de rien sauver, encore moins par conséquent étaient-ils capables de tout transformer, ce qui était alors le problème posé. Ils manquaient de cet esprit d’invention si nécessaire aux hommes politiques. Leur constitution anglaise, ils l’auraient appliquée tant bien que mal à la France, au lieu de s’en servir comme de pensée première et féconde pour arriver au but que la nation s’était proposé, l’union plus étroite de la France et du roi. C’étaient des hommes honnêtes et intègres dans toute l’acception du mot, excellens pour faire une suite à Delolme ou pour donner une analyse critique très exacte des systèmes politiques, mais peu propres à fonder un gouvernement et surtout peu faits pour les révolutions. Ils n’avaient pas les qualités cordiales, sympathiques, l’accent vibrant, qui sont nécessaires à de telles époques pour exécuter d’aussi difficiles desseins et inspirer l’amour de leur œuvre à leurs compatriotes : ils devaient tomber, ils tombèrent. Leur chute est déplorable sans doute, comme l’est celle de tous les hommes honnêtes ; mais on peut se demander si c’est un très grand malheur, et si une constitution fondée par d’aussi faibles mains aurait jamais duré.

L’autre fraction constitutionnelle, le triumgueusat, le parti de Barnave, de Duport, des Lameth, ne péchait pas précisément, comme les précédens, par trop de scrupules constitutionnels et d’honnêteté politique. Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour rendre la révolution irrévocable, et pour cela ils n’ont rien ménagé, ni les intérêts de la vérité, ni les sentimens de la conscience publique, ni l’humanité elle-même. Ce sont eux qui, les premiers, ont appris aux classes moyennes, qu’ils s’étaient chargés de guider, à être injustes envers leurs ennemis, — au peuple, à être impunément cruel et juge souverain de ses crimes ; ce sont eux qui ont ouvert les portes à cette révolution qui devait entraîner la chute de la monarchie, et cela dans l’espoir de consolider l’édifice de 1789. On accuse, non sans raison, les girondins, qui ne sont,