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étaient en même temps… Je suis forcé de vous quitter, je vais dîner chez Thomas (nom convenu), dans la maison où dînaient anciennement les Rayneval, les Jurien, les Mirabeau, les Rabant, les Garat, où dînaient aussi depuis les Guadet, les Gensonné, les Roland, les Barrère, les Prieur de la Marne, et actuellement les Tallien, les Fréron, les Carletti. Vous voyez, citoyen, que notre morale s’arrange de tout, et je crois que c’est là sa perte. »

Cette lettre en dit plus que toutes les réflexions possibles ; elle confirme le témoignage d’un honorable historien qui avait coutume de dire que si, à l’époque de la terreur, lorsque la charrette passait dans les rues, on eût fait signe aux spectateurs, ils seraient montés, et sans mot dire seraient allés à la guillotine. On remarquera aussi le ton avec lequel elle est écrite. Certes, l’homme qui s’adresse à Mallet était, selon toute apparence, un modéré, et pourtant cette lettre a le caractère de tout ce qui s’écrit à cette époque ; elle est frivole et atteste l’influence de la corruption régnante. Lui qui n’aime pourtant pas à voir couler le sang, il s’est régalé du supplice de ses ennemis ; un instinct de curiosité l’a poussé aux portes de la prison pour aller considérer la contenance des gens qui vont mourir ; ses réflexions sur l’absence de vengeance, sa surprise de voir que pas un fils n’ait vengé son père, et pas un père son fils, méritent considération. C’est qu’en effet, dans les époques de décadence, le véritable courage disparaît, et il ne reste plus qu’un courage de vanité. On est capable encore de se donner un coup d’épée pour un mot ou un geste ; mais la douleur n’a plus de colère, le malheur n’a plus de ressentimens, la fibre sensible est paralysée par la vanité. Le courage n’étant autre chose que la vertu en action, il faut s’attendre, dans des époques semblables, à ne rencontrer que le genre de vaillance que la corruption peut encore supporter, le courage qui lui est nécessaire pour se défendre. Pourtant il y a des hommes qui, à cette époque, ont montré un véritable courage, on le dit au moins : eh bien ! analysez les actes de ceux-là, le dévouement de Charlotte Corday, le meurtre de Lepelletier par Paris, remontez à la source de ces actions, et demandez-vous si c’est là autre chose qu’un courage d’imagination. Jamais troupeau ne marcha à la boucherie avec plus de résignation, la tête plus basse et l’œil plus hébété.

N’avions-nous pas, en vérité, raison de dire que cette époque était une humiliation pour la nature humaine ? Au reste, il est bon de remarquer que la force de résistance n’existe guère davantage dans le camp opposé. Les scélérats n’ont pas plus de courage dans le mal que leurs victimes de courage pour le bien. Lorsque, après prairial, la convention ordonna de remettre les piques à la section, on les rendit avec le même empressement qu’on avait nus jadis à les prendre. « Tout cela se fait sans murmure, écrit un correspondant de Mallet, on est à