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par une odeur de charnier ; c’est cette corruption qui, mêlant la prostitution et le meurtre, transporte la guillotine au milieu des bosquets de Cythère (style du temps) ; c’est cet enthousiasme pour l’horrible instrument de supplice qui, sous forme de pendans d’oreilles, orne la tête des citoyennes, en attendant qu’il la fasse tomber ; ce sont ces modes dites à la guillotine et ce bon ton d’un genre singulier qui consiste à se costumer comme pour la mort. Mélangez les rêves d’une hystérique, les inventions d’un débauché blasé, les imitations puériles de l’enfance ignorante ; combinez Dorat et Pétrone, les délires de la Religieuse de Diderot avec les fadeurs d’Estelle, la corruption savante de Laclos et la morale facile de l’opéra-comique, et vous aurez une idée de la terreur. C’est là de la corruption, j’imagine, oui, et une telle corruption qu’il faut désespérer d’en rencontrer d’aussi compliquée.

On lit dans les papiers de Mallet Dupan une lettre de l’un de ses correspondans de Paris qui met en relief quelques-uns des traits de cette époque. « Sauf Robespierre, écrit-on à Mallet, chacun se trouvait heureux de n’être point en prison ; on calculait le nombre des personnes ou des habitans de la ville qui, suivant le système dépopulateur, était dans le cas de périr, et chacun espérait n’y être pas compris, soit par quelque révolution inespérée, soit parce que son tour viendrait plus tard, et je puis vous assurer, sans être exagéré, que de cette manière le comité de salut public aurait pu se défaire, l’un après l’autre, de tous les gens aisés de France sans la moindre opposition. Néron et Caligula n’avaient pas encore fait une pareille épreuve sur l’espèce humaine : comment l’a-t-on donc pu essayer sur une nation pleine d’amour-propre et qui a de l’audace et du courage, et comment ne s’est-il pas trouvé un fils qui ait vengé son père, ni à Paris ni à Lyon, tandis que, pour un propos, pour une fille, on se donnait des coups d’épée ?… On était si accoutumé de voir mener à l’échafaud vingt, quarante personnes, qu’on n’y faisait plus attention. On s’informait seulement du nom. Je n’ai pas vu cette douleur, cette consternation sur la physionomie des Parisiens, que toute ame sensible aurait dû ressentir à la vue de cette horrible boucherie. La populace pensait et disait généralement qu’il fallait tuer les aristocrates, et qu’on serait tranquille après. La première personne que j’aie vue passer sur la charrette était Charlotte Corday, et le premier homme que j’ai vu guillotiner était d’Orléans, et je vous avoue qu’il entrait un sentiment de haine de ma part ; il était froid et indifférent, et le peuple ne lui épargnait pas les huées. Je me suis également régalé des Brissot, des Danton, des Robespierre ; un esprit de curiosité m’a conduit aussi au palais pour voir sortir le malheureux Linguet : il était parfaitement tranquille, sans aucun signe de chagrin ni d’abattement. L’infortuné maréchal de Mouchy, son épouse, Victor de Broglie, le frère de M. de Saint-Priest, y