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aplomb les sauve. Ils acquièrent par là une véritable supériorité, donnent à leurs paroles la tournure d’oracles, à leurs accusations les plus invraisemblables l’air de la vérité. Les bonnètes gens, au contraire, hésitent à se compromettre, et le plus grand malheur qu’ils imaginent est celui de passer pour des sots. On ne sait pas tout ce que cette appréhension du bon goût, de la politesse, a causé de fautes et de malheurs ; toute cette foule d’hommes instruits, lettrés, de gens de salons et d’académie, n’avaient rien de ce qu’il faut pour agir à de pareilles époques. Intelligences trop cultivées, ils avaient retranché de leur ame, par une culture excessive, tout ce qu’il y a dans la nature humaine de vivacités primesautières, de qualités primitives, de saillies vigoureuses, pour les remplacer par des finesses calculées et des épigrammes forgées à loisir. Mallet dénonce souvent ce vice des esprits trop cultivés ; il voudrait que les paroles toujours courageuses, quelquefois éloquentes qu’il imprime, que ses conseils de résistance se traduisissent en actes énergiques ; il s’afflige que la parole du publiciste ne soit pas aidée par le bras du lecteur. « Au milieu de tous les désordres et de tous les malheurs, écrit-il, nos contemporains n’ont envisagé la révolution que comme une escrime de raisonnemens, de colère et d’invectives… Ce que l’esprit gagne en jouissances, le caractère le perd en énergie. L’activité de l’ame, ce feu sacré qui ne s’évapore point comme celui de l’entendement, s’affaiblit au milieu de tant de controverses. Des têtes noyées dans l’océan des sottises imprimées ne sont plus propres à se conduire ; n’en attendez ni grandeur, ni énergie : ces roseaux polis plieront sous les coups de vent, sans jamais se relever. »

Et la terreur ? Que ne pourrait-on pas dire sur ce sujet terrible, qui eût fait reculer Machiavel ? M. de Bonald a dit une fois que les peuples voluptueux étaient par cela même cruels, mais il n’a pas osé creuser son observation. Celui qui a osé fouiller dans la pourriture humaine sait combien la férocité touche de près à la sensualité et combien le goût du sang suit de près l’habitude du plaisir. Il y a du Pétrone et du de Sade dans la terreur. Il y a tel mot de Joseph Lebon à Arras qui semble pris dans les infâmes romans de de Sade ; il y a tel personnage de la révolution, Barrère par exemple, que Burke avait si admirablement appelé l’Anacréon de la guillotine, qui semble échappé en chair et en os du roman de Laclos. On a vu à toutes les époques des vengeances et des crimes. Ce qu’on n’avait pas vu depuis les empereurs romains de terrible mémoire, c’est un pareil amour pour toutes les choses horribles, mêlant les imaginations sanglantes aux délires voluptueux ; c’est cette facilité avec laquelle toute une génération s’habitue à voir couler le sang ; ce sont ces chansons érotiques et ces refrains de vaudeville où la fadeur des petits couplets du XVIIIe siècle est relevée