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accusation ou répandre un système. » Jamais il n’a hasardé un fait sans s’être préalablement informé de la stricte vérité. Il offre, sous ce rapport, un parfait contraste avec un journaliste de l’école opposée, avec le chef futur de la gironde, Brissot, dont une imagination inquiète dictait toutes les accusations. On voit Brissot, pendant toutes les années qui précèdent la révolution, arriver partout la bouche enfarinée, comme on dit vulgairement, pour débiter les lieux communs les plus insupportables sous forme de paradoxes et affirmer des faits dont il n’a pas été le témoin. Ainsi le voyons-nous dans l’affaire de Warren Hastings, et surtout dans l’affaire de la reddition de Genève aux puissances alliées, en 1782. Pauvre Brissot, infortuné Philadelphien ! il a laissé après lui une triste réputation ; mais il lui a été donné d’expier cruellement ses sottises. Ce ne fut pas un intrigant, comme on l’a appelé : ce fut un grand faiseur d’embarras. Mallet se distingue aussi de Linguet, esprit dont tout le mérite provenait d’un échauffement factice et d’une inquiétude remuante qui lui cachait plus de choses qu’elle ne lui en faisait découvrir. Il n’a jamais eu, comme ses confrères, à se repentir de ses opinions ; sagement constitutionnel, il n’a pas eu, comme Linguet, besoin de se convertir à la révolution, ni, comme Brissot, à regretter ses fautes politiques.

L’époque du XVIIIe siècle à laquelle Mallet appartient par sa carrière de journaliste est une des plus curieuses et des plus affligeantes qu’il y ait dans l’histoire. Elle a été très bien nommée par un illustre anglais rage du papier : c’est l’époque des brochures, des journaux, des libelles et des pamphlets ; il n’y a plus de règle et d’autorité ni en politique, ni en littérature ; l’anarchie intellectuelle précède l’anarchie politique ; on se bat à coups de brochures, on se diffame dans les journaux, on se verse des écritoires sur la tête en attendant les échafauds de la place Louis XV. La bataille des livres prélude à la guerre civile et aux journées de septembre. Les gens de lettres sortent de dessous terre, les mensonges et les calomnies s’entrecroisent comme les intrigues ; les quelques honnêtes gens de l’époque sont traités sans façon de faquins, et M. de Calonne est appelé par les libellistes à ses gages le vertueux ministre avec une telle audace de servilité et de bassesse, qu’un des hommes les plus réellement vertueux de cette époque, le roi Louis XVI en personne, révolté par cette épithète imméritée que quinze censeurs avaient respectée, la biffe de sa propre main. Il est vrai en revanche que, si le délire, la déraison et la corruption sont universels, le mot de vertu est dans toutes les bouches ; les absurdités les plus contradictoires se manifestent : la religion est traînée dans la boue par des milliers de brochures que la censure laisse passer, tout en condamnant Suard à 600 livres d’amende pour un récit de la mort de Barthe, où il donnait à entendre que ce dernier était mort philosophiquement, c’est-à-dire sans confession. C’est une époque d’un