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les articles et dans les récits de Mallet on ne sent l’impression nerveuse que les événemens font sur certains esprits doués de la faculté d’être émus, remués ou secoués par les faits, et d’en retrouver dans leur esprit comme dans une chambre noire les couleurs, la mobilité, les grimaces. Jamais on n’entend gronder l’émeute, jamais on n’aperçoit le mouvement des batailles et des insurrections. Mallet disserte sur les décrets, sur les partis, bien plus qu’il ne raconte ; il juge la révolution bien plus en politique qu’en spectateur, car ce n’est pas seulement par ses idées que Mallet Dupan est anti-révolutionnaire : il l’est aussi par son style, par sa manière de raconter, de présenter les faits. Nulle manière d’écrire n’est aussi loin de la forme novatrice, de la prose tourmentée, affectionnées par les écrivains les plus distingués de la fin du dernier siècle. Sa manière de raconter et de discuter est nette, mais avec un peu de sécheresse, légèrement diffuse et prolixe, mais non entortillée, comme l’est trop souvent celle des publicistes de cette période. Les qualités de pensée et de style sont toujours chez Mallet Dupan des qualités moyennes. C’est un excellent écrivain constitutionnel. Mallet est journaliste pur et simple, mais personne dans ce genre de travaux obscurs et sans gloire n’a fait mieux que lui et n’a mis plus de conscience à remplir sa tâche obligée. Nous ne chercherons donc dans Mallet Dupan ni de grandes qualités de style et de pensée, ni des tableaux pittoresques où les événemens viennent se refléter avec leurs couleurs les plus vives, ni des observations nouvelles et curieuses sur la nature humaine. Ce qu’il y a moralement de plus curieux chez lui, c’est tout ce que sa mauvaise humeur laisse supposer de folies et de sottises (car Mallet est toujours ou à peu près de mauvaise humeur, comme le sont généralement les hommes de bon sens sans génie et les inutiles donneurs de conseils qui n’ont pas la flamme intérieure d’un Mirabeau) ; c’est cette épidémie contagieuse de puériles chimères, de superstitions séniles et d’imaginations qu’il nous fait étudier en grondant et en maugréant, comme un médecin qui décrirait les ravages du mal chez un malade que son entêtement rend incurable. Là est le côté curieux et tout-à-fait nouveau des mémoires de Mallet Dupan. Avant d’y revenir, il faut pourtant s’arrêter un instant devant l’homme lui-même : Mallet en vaut la peine ; s’il n’a pas d’éclat ni de grandes qualités, il a en revanche des qualités modestes, utiles ; c’est un de ces hommes de talent que la société peut employer et dont elle sait quoi faire ; il y a tant d’hommes de génie dont elle est embarrassée, et qui ne lui sont bons à rien !

Jacques Mallet Dupan naquit en 1749, dans le petit village de Céligny, situé sur la rive droite du lac de Genève. Son père, pasteur de ce Tillage, avait épousé Mlle Dupan, fille de syndic, nous dit son biographe, et d’une des plus anciennes familles de la magistrature du pays.