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d’incrédulité générale, tous les hommes célèbres de cette époque se montrent d’une crédulité sans exemple ; ils ont des craintes d’enfans et des hallucinations de vieillard affaibli, ils s’entourent de chimères, et en les voyant, comme ils le font, accuser au hasard, on comprend comment ils ont dû aussi frapper au hasard. Ils ont tous un bouc émissaire sur lequel ils font retomber la responsabilité de tous les événemens, même de leurs actes, et plus le personnage incriminé est éminent, plus il est difficile de découvrir ses pensées et d’assister à sa vie de chaque jour, mieux ils acceptent leurs propres imaginations et les propres fantômes qu’ils se sont créés. Les mémoires du temps, et à leur suite bon nombre d’historiens, font peser sur cinq ou six personnages toute la responsabilité des crises révolutionnaires ; c’est le roi, c’est la reine, c’est Pitt et Cobourg, c’est le duc d’Orléans, c’est Robespierre, qui ont tout fait. Ainsi le degré de culpabilité attribuée aux principaux personnages de la révolution s’augmente avec la difficulté qu’il y a à pénétrer leurs secrètes pensées et le mystère qui entoure leurs existences.

Peu à peu cependant le jour se fait, les révélations arrivent, et ces imaginations s’évanouissent. Ainsi, pour prendre un exemple, que n’a-t-on pas dit et écrit sur ce mystérieux comité autrichien dont ont tant parlé tous les meneurs des factions, et dont on a surtout parlé à l’époque où il n’existait plus ! Eh bien ! la dernière publication qui a été faite sur Mirabeau réduit ce fait aux proportions les plus modestes. En réalité, ce comité se composait de deux personnes, M. le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris, et M. de La Marck, député aux états-généraux. Leurs entrevues n’avaient d’autre but que de rapprocher Mirabeau de la cour et de gagner à la cause monarchique quelques-uns des meneurs parlementaires et des chefs de l’opposition. Sous la forme que lui avait prêtée l’imagination révolutionnaire, le comité autrichien était un événement véritable : ici c’est à peine s’il atteint les proportions d’une conférence parlementaire. Combien de faits du même genre ont été ainsi dénaturés ! combien de dangers imaginaires qui ont motivé des insurrections et des massacres étaient au fond aussi innocens que ce comité autrichien ! Et pour prendre le plus grave de tous ces dangers, la coalition, quand on a lu avec attention les mémoires de Mallet Dupan, lorsqu’on a assisté jour par jour et heure par heure à toutes les faiblesses, à toutes les incertitudes, à toutes les défections des cabinets européens, si timides en action et si téméraires en parole, lorsqu’on voit combien la désunion régnait au sein de cette coalition, quelles mesquines rivalités s’y donnaient carrière, combien les cabinets donnaient et refusaient leur adhésion au gré de leurs caprices, on cesse d’être surpris des triomphes des armées françaises, et l’on voit alors que les théories de nos modernes