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gouvernement de l’empereur. Amaral ne se dissimulait pas que la cause de l’Angleterre en Chine était la cause de l’Europe. Chaque faute de cette puissance était une défaite pour les intérêts européens, et le prestige des victoires anglaises ne pouvait s’affaiblir sans que la force morale de tous les gouvernemens étrangers en fût ébranlée. Plût à Dieu qu’attentif à observer cette décroissance de l’influence européenne, Amaral eût provoqué avec moins d’audace la perfidie des mandarins chinois, et se fût montré, à dater de ce moment, moins confiant dans ses allures et plus circonspect dans ses réformes! Mais la crainte était inconnue à ce cœur généreux, et Amaral ne pouvait échapper à la fatalité de son courage.

Les partis cependant se dessinaient avec plus de vigueur au sein du Céleste Empire. D’un côté, Ki-ing, admis dans les conseils de la couronne, y avait fortifié son influence par l’adjonction de Ki-shan, qu’il avait enlevé au gouvernement du Su-tchuen, et Houan lui prêtait, en qualité de conseiller intime, le secours de son insinuante habileté. De l’autre, le vieux Lin, toujours opiniâtre, soutenait, du fond du Yun-nan, les préjugés invétérés des Chinois et prêchait encore la haine des barbares. Rassemblant toutes les notions éparses dans le Céleste Empire, y joignant ce qu’il avait pu apprendre lui-même dans son gouvernement de Canton, il publiait une géographie politique en dix-neuf volumes. Cet ouvrage n’était pas moins hostile au culte catholique qu’à l’Angleterre; « mais il faut, disait l’astucieux mandarin, ménager les Français, nous assurer leur concours et apprendre enfin à combattre les barbares par les barbares. » Quand il s’exprimait ainsi au mois de février 1848, le vieux Lin ne se doutait pas de la grande surprise qu’en ce moment même les Français préparaient au monde.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.